Dans un article publié le 16 mai sur le site de l’Université d’Ottawa, Alexandre Baril, professeur agrégé à l’Ecole de travail social de la Faculté des sciences sociales de cette université canadienne fait la promotion de son livre Undoing Suicidism : A trans, queer, crip approach to rethinking (assisted) suicide. « Dans notre société, les personnes qui expriment des idéations suicidaires sont très souvent soumises à des traitements inhumains, qui ont pour but de leur sauver la vie à tout prix », entend dénoncer le professeur. Des traitements « inhumains » au nombre desquels figureraient le fait d’hospitaliser ou de médicamenter les personnes ayant attenté à leur vie.
Lutter contre le « suicidisme » ?
Pointant du doigt le « suicidisme », un terme qu’il a forgé pour désigner « un système d’oppression dans lequel les personnes suicidaires vivent de multiples formes d’injustice et de violence », il prône un modèle d’« accompagnement ». Qui peut aller jusqu’au suicide assisté.
« Les services de prévention du suicide font plus de mal que de bien », estime le professeur, et « ne produisent pas les résultats escomptés ». Selon Alexandre Baril en effet, « craignant les conséquences du suicidisme, c’est-à-dire les torts qu’elles pourraient subir en révélant leur intention suicidaire, [les personnes] ne partagent leur détresse à personne puisqu’elles ne se sentent pas bien soutenues ».
De la prévention à l’« accompagnement »
La solution proposée par le professeur ? « Concevoir le suicide comme un droit positif » et envisager un « accompagnement » des personnes suicidaires dans leur désir de mort en leur offrant la possibilité du suicide assisté (cf. Le suicide assisté : « une contradiction dans les termes »). Une « stratégie suicide-affirmative », « non-stigmatisante », qu’il reconnaît lui-même comme « radicale » mais qui, estime-t-il « pourrait sauver plus de vies que les stratégies de prévention courantes ».
Pourtant, comme l’explique Jacques Ricot, « celui qui se suicide considère qu’il n’a plus que cette seule et unique solution » [1]. Comment le fait d’approuver ce passage à l’acte pourrait-il le détourner du désespoir ? « Bien souvent, en demandant la mort, c’est l’amour que l’on appelle » souligne Eric Fiat [2]. Y répondrons-nous par l’invitation au suicide ?
D’ailleurs, « quand tu veux vraiment te suicider, tu n’as certainement pas besoin de quelqu’un pour t’encourager à le faire, quand même ! » témoigne Marion, l’une des membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie (cf. « J’ai été suicidaire », « ce mot de suicide assisté ne passe pas »). « Ce mot de suicide assisté ne passe pas. J’ai été suicidaire à certains moments de ma vie, je sais de quoi on parle. »
Les origines de cette vision
Ce « modèle » « prend racine dans la stratégie transaffirmative, qui repose sur le soutien axé sur l’autonomisation des personnes trans, et non pas le contrôle et la surveillance ». Le qualificatif de « suicide-affirmative » est en effet évocateur.
D’après Alexandre Baril, cette « vision axée sur la personne, et non sur la vie elle-même » transformerait le suicide en « un choix longuement mûri dans le cadre d’un processus assisté où toutes les possibilités sont envisagées et soigneusement pesées pour en arriver à une décision éclairée » (cf. « C’est l’accompagnement qui humanise la fin de vie, pas l’euthanasie ou le suicide assisté »). L’autonomie comme valeur suprême.
« Un changement de paradigme »
« Pourquoi accordons-nous l’aide à mourir à des personnes qui, dans la grande majorité des cas, veulent obtenir de meilleures conditions pour vivre, alors que nous la refusons à des personnes qui veulent mourir, les obligeant à passer à l’acte dans la solitude et dans d’atroces conditions ? », interroge le professeur. On lui accordera en effet que l’actualité canadienne fourmille d’exemples de personnes qui avaient seulement besoin d’un véritable accompagnement : personnes handicapées, vétérans, personnes souffrant de précarité, auxquelles la société n’a pas donné les moyens de vivre. De mourir si (cf. Canada : le ministère des anciens combattants propose à nouveau l’euthanasie ; Canada : un homme bientôt sans domicile demande l’euthanasie, feu vert du médecin).
« Il faut opérer un changement de paradigme pour passer de la prévention à l’accompagnement », insiste Alexandre Baril. En France, les opposants à la légalisation de l’euthanasie ne cessent de le dire. Comment pourra-t-on faire cohabiter mort médicalement administrée et prévention du suicide ? (cf. « Nous sommes dans une société thanatophobe et mortifère » ; Convention citoyenne : début (et fin ?) de la délibération) La contradiction est évidente. Et désormais assumée par certains universitaires. Du délit de non-assistance à personne en danger au délit de non-assistance au suicide ?
[1] Jacques Ricot, philosophe « Mourir n’est pas tuer – Enquête au cœur de la fin de vie », février 2023.
[2] Eric Fiat, philosophe, Grandeurs et misères des hommes, Petit traité de dignité, Paris, Larousse 2010, p. 216.