Du 2 au 26 novembre, l’Agence de Biomédecine lance une nouvelle campagne autour du don de gamètes. Spots radio, bannières sur internet, bandes annonces au cinéma : impossible d’échapper à ce matraquage qui vise à recruter de nouveaux donneurs. Au fil des campagnes, le message ne change pas[1] : votre généreux don d’ovocyte ou de sperme peut venir en aide à un malheureux couple en attente d’enfant. Simpliste, il ne présente qu’un aspect du problème.
Un objectif surévalué ?
En 2015, 540 femmes ont fait un don d’ovocytes, et 255 hommes ont donné leur sperme. Mais ils sont près de 3500 nouveaux couples souffrant d’une infertilité médicale à s’inscrire pour un don de gamètes chaque année[2]. Par conséquent, les « besoins ne sont pas satisfaits ». L’Agence de biomédecine estime qu’il faut 1400 dons d’ovocytes et 300 dons de sperme par an pour atteindre l’équilibre national. C’est l’objectif que le ministère de la santé lui a fixé pour 2021, et à titre d”« enjeu prioritaire ».
Toutefois, dans le dernier rapport de l’agence sur les données de 2015, on apprend que si le nombre de couples inscrits sur liste d’attente a beaucoup augmenté entre 2009 et 2013, « il semble s’être stabilisé en 2014 et 2015 »[3]. De fait, les chiffres s’équilibrent entre les nouvelles demandes acceptées dans l’année (3331) et le nombre de couple ayant bénéficié d’au moins une tentative dans la même année (3200). Et si l’équilibre actuel ne peut endiguer les listes d’attentes générées ces dernières années par la démocratisation de ces techniques, d’autres leviers ont été actionnés qui devraient avoir des répercussions visibles rapidement : un changement règlementaire début 2016 autorisant les nullipares à donner leurs gamètes[4], ainsi qu’une augmentation des centres autorisés à l’activité don d’ovocyte : aujourd’hui seul le Poitou-Charentes ne dispose pas d’un tel centre.
Un parti pris inquiétant
La prochaine campagne fait intervenir le témoignage de vingt couples devenus parents via un don de gamètes. L’agence parle d’un « parcours médical qui éprouve et construit », d’une expérience qui « renforce » le couple, sans avoir peur d’idéaliser un parcours de plus en plus décrié pour son inhumanité. La « réflexion nécessaire sur les implications d’un tel don » est mentionnée pour le couple receveur, mais pas pour le donneur : il ou elle est trentenaire, généreux, empathique, il assume son geste, mais ce dernier est banalisé et ne mérite pas un témoignage. Ce parti pris est inquiétant, et se retrouve dans les différents rapports de l’agence : des pages de tableaux concernent les couples receveurs, les tentatives d’insémination ou de fécondation in vitro mais très peu de données sont recensées sur les donneurs de gamètes. En outre, la mise en place d’un suivi de la santé des donneuses d’ovocytes fait partie des missions de l’ABM, mais elle n’est pas honorée : si ce suivi représente un objectif dans chaque plan quadri annuel, il semble qu’il soit toujours au point mort, puisque le plan 2017-2021 comporte de nouveau un axe intitulé « mise en place d’un suivi de l’état de santé des donneuses d’ovocytes prévu par la loi », sans mention d’une quelconque action menée.
Qu’en est-il enfin, des enfants issus du don de gamètes ? Seul un chiffre, le nombre de naissance, les représentent : 1227 en 2015, soit près de 4% des enfants nés par PMA et 1 enfant sur 637 en population générale.
Les campagnes en faveur de don de gamètes se succèdent et se ressemblent, jouant sur les bons sentiments des auditeurs sans les inviter à une quelconque réflexion. Une banalisation inquiétante qui occulte le défaut de suivi des donneurs et des enfants issus de ces dons.
Pour aller plus loin :
Quelques chiffres issus du rapport de l’ABM publié en septembre dernier sur les données 2015 :
- Les inséminations et fécondation in vitro avec don de gamètes concernent 3,3 % des tentatives d’AMP
- 5% des enfants conçus par AMP sont issus d’une AMP avec don de gamète
[1] Cf. Une campagne inquiétante qui banalise le don de gamètes (1/2) ; Une campagne « opaque » sur les enjeux du don de gamètes (2/2)
[2] En 2015, 2530 demandes d’AMP avec don de spermatozoïde ont été acceptées ainsi que 801 demandes d’AMP avec don d’ovocytes.
[3] L’ABM note que « ces listes ne sont pas toujours mises à jour. Pour augmenter ses chances un même couple a pu s’inscrire dans plusieurs centres, avoir réalisé son projet parental ailleurs, en France ou à l’étranger, ou encore avoir interrompu sa démarche. De même certains couples se dirigent d’emblée vers un don d’ovocytes à l’étranger ».