Bruno Deniel-Laurent: la trisomie 21, “un eugénisme d’état”

Publié le 18 Mar, 2014

 Le 21 mars prochain sera la troisième journée internationale de la trisomie 21. A cette occasion, Bruno Deniel-Laurent, journaliste, publie une ouvrage intitulé “Eloge des phénomènes – Trisomie: un eugénisme d’Etat“, aux éditions Max Milo. Interview. 

Gènéthique: Vous publiez un livre pour la journée mondiale de la trisomie 21, Éloge des phénomènes (éditions Max Milo), un signal d’alarme en France. Pourquoi trouvez-vous qu’il y a urgence ?

Bruno Deniel-Laurent : En guise de préambule, je dois vous avouer que si la question trisomique me semble essentielle et, comme vous le dîtes, “urgente”, ce n’est pas pour des raisons personnelles, intimes ou familiales. J’ai simplement la conviction que le sort réservé aujourd’hui aux fœtus porteurs d’un chromosome surnuméraire, massivement victimes d’interruptions médicales de grossesse (IMG), annonce la généralisation des ravages eugénistes de demain. D’une certaine façon, l’hypocrite aversion dont ils sont aujourd’hui les victimes n’est que le prototype des gigantesques procès en légitimité qui seront demain dressés contre tous les humains génétiquement “imparfaits”.

96 % des fœtus trisomiques détectés sont éliminés dans le ventre de leur mère. C’est un chiffre qui devrait tous nous ébranler. Ce processus mortifère n’ayant – à ma connaissance – pas tendance à diminuer, il est un scandale de chaque jour, et il est donc « urgent », en ce sens, de le dénoncer ou au minimum de l’interroger.
Mais il y a “urgence” pour une autre raison : vous savez que l’ADN tisse maintenant sa toile dans le champ du dépistage prénatal, justifiant son emploi par le fait que les tests génétiques dits “non-invasifs” sont moins brutaux que l’amniocentèse, responsable chaque année de nombreuses fausses-couches. Mais il me semble qu’il convient de ne pas s’ébahir naïvement devant ce “progrès” puisque par lui la hiérarchisation des fœtus va devenir chaque jour plus subtile et, qui sait, ce seront peut-être dans un futur plus ou moins proche les malentendants, les hémophiles, les sclérosés, les becs-de-lièvre ou les diabétiques que l’on décidera d’éliminer dans les utérus. J’ai la faiblesse de croire que sans l’affirmation radicale de certains principes éthiques, nos descendants seront obligés de vivre à Gattaca ou dans un cauchemardesque “meilleur des mondes”.

Gènéthique: Ces chiffres sont effrayants, vous dénoncez cependant des dérives plus grandes encore. Celui du regard de la société sur les futures familles : vous dénoncez un eugénisme d’État. Les mots sont durs. Pouvez-nous l’expliquer ?

B. Deniel-Laurent: J’ai parfaitement conscience que l’utilisation de ce mot, “eugénisme”, peut paraître excessive pour certaines personnes. Mais dans un pays – le nôtre – où j’ai l’impression que nous vivons sous la contrainte permanente d’une novlangue qui nous empêche de nommer les choses, il faut bien redonner aux mots leur véritable sens : quel autre nom sinon celui d’eugénisme peut-on donner à une politique qui provoque la suppression de 96 % des fœtus trisomiques dépistés ? Quels que soient les termes utilisés pour nommer ce processus – “infanticides” pour certains, “interruptions médicales de grossesse” pour d’autres –, on ne peut nier qu’une population humaine distincte, caractérisée par l’existence d’une particularité chromosomique, est expressément l’objet en France d’une politique de sélection et d’élimination pré-natales. Je ne peux m’y résoudre.

Il y a évidemment des causes multiformes à cet état de fait : le regard dépréciateur porté par la société sur les “idiots congénitaux”, les pressions exercées sur les familles par certains membres du corps médical, les difficultés concrètes (accès à l’éducation, aux soins, au travail, etc.) auxquelles sont confrontés les parents d’enfants porteurs d’un chromosome surnuméraire, etc. Mais au-delà de ces différentes causes, il n’empêche que l’État, dans ses choix fondamentaux, a une responsabilité gigantesque dans l’accomplissement quotidien des pratiques eugénistes.  

Gènéthique: Dans votre livre vous dénoncez les diagnostics et la logique eugénique qui aurait eu une conséquence dommageable dans notre histoire culturelle et scientifique ?

B. Deniel-Laurent: Je dois vous dire que je n’ai aucune qualification particulière, n’étant pas médecin, pour dénoncer ou défendre telle ou telle technique de dépistage prénatal. Mais j’affirme que dans ce domaine comme dans d’autres, il est nécessaire d’en appeler au SENS DES LIMITES. Cette question des limites, qui est au cœur de l’interrogation éthique mais aussi de l’idée écologiste, doit sans cesse être posée, surtout à l’heure où les analyses ADN s’immiscent maintenant dans les utérus féminins. L’idéologie du Progrès – à laquelle communie le technolibéralisme contemporain – repose en effet sur une sorte de phobie des limites, partagée à la fois par les “libéraux de droite” et les “émancipateurs de gauche”.
M’inscrivant à titre personnel dans l’héritage philosophique des penseurs de l’écologie radicale et de la critique de la “démesure technicienne” – je pense notamment ici à Jacques Ellul, Günter Anders, Ivan Illich, etc. – je  suis obligé de constater que si les trisomiques sont aussi nombreux à être empêchés de vivre, c’est qu’aucune limite éthique opérative n’a été opposée face aux techniques permettant à la fois de les débusquer et de les éliminer. 

Gènéthique: Ce livre veut ouvrir un débat sur la place des handicapés : en quoi ce débat est au cœur de notre vision de la société ?

B. Deniel-Laurent: Les démarches visant à intégrer les personnes handicapées dans notre société sont admirables : plutôt que d’accepter que des fœtus porteurs d’une singularité génétique soient éliminés chaque jour dans des ventres féconds, il convient de multiplier les passerelles d’intégration permettant de les faire participer à la polyphonie du monde. Mais force est de constater que notre froide époque, qui semble se complaire dans l’exigence illimitée et hystérisée de nouveaux “droits” (y compris le “droit à l’enfant”), en accorde bien peu aux petits trisomiques.

Livre: Éloge des phénomènes, Bruno Deniel-Laurent, Max Milo, 64 pages, 9,90 €.
Blog: elogedesphenomenes.blogspot.fr/ 
Site internet de l’auteurwww.brunodeniellaurent.com
 

 Gènéthique

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