Bioéthique et Embryons in vitro : Où en est l’assistance médicale à la procréation ?

Publié le 5 Mar, 2018

Dans une conférence donnée à la Cour de cassation le 15 février dernier[1], Jacques Testart, biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l”INSERM, fait un état des lieux des pratiques d’Assistance médicale à la procréation (AMP) et revient sur les enjeux d’une technique liée à l’utilisation d’embryons in vitro (1/3).

 

Depuis quarante ans, l’embryon humain est devenu disponible hors du corps, et cette avancée biomédicale a ouvert plusieurs voies. D’abord la possibilité de nouvelles interventions médicales contre l’infertilité (fivète), ou dans la pratique des greffes (cellules souches embryonnaires). Puis  des dérives sociétales avec la surmédicalisation des couples inféconds, la commercialisation du corps féminin (GPA), et celle des ovules et du conceptus (vente des produits du corps humain sur internet). Ensuite des perspectives de connaissance (recherches sur l’embryon) ou d’innovation (utilisation des cellules embryonnaires). Enfin l’ouverture d’un nouveau champ entre thérapeutique et eugénisme (DPI, caractérisation génétique des géniteurs et des gamètes, correction de l’ADN).

 

La pratique large de l’IA[2], qui a commencé quelques années seulement avant l’invention de la fivète, a aussi produit des effets sociétaux avec l’engendrement hétérologue (IAD) ou homosexuel (« PMA »[3]pour toutes) comme avec le commerce international du sperme[4].

 

La surmédicalisation de l’AMP

 

Le dernier rapport (2017, activités de 2015) de l’Agence de la biomédecine (ABM) confirme que l’activité d’insémination artificielle (IA : 54167 cycles en 2015 ) est en réduction continue (moins 8% depuis 2012), alors que celle de fivète (91088 cycles en 2015) poursuit son extension (plus 8,2% depuis 2012). Ces chiffres révèlent la porosité des indications médicales d’AMP où de nombreux couples passent de l’IA à la FIV, laquelle permet de contrôler plus précisément la réponse ovarienne aux stimulations et est réalisable avec un sperme de qualité inférieure aux standards. Ce phénomène pourrait expliquer l’amélioration récente des résultats de l’IAC (IA avec sperme du conjoint) si les plus mauvais spermes sont désormais renvoyés vers la FIV. Il est dommage que des données plus précises ne soient pas disponibles, l’ABM ne publiant pas les indications médicales des AMP alors que celles-ci figurent dans les fiches individuelles qu’elle reçoit, et que la législation impose que « le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué »avant de procéder à l’AMP (article 33, loi 2011). Rappelons qu’avant la création de l’ABM les professionnels géraient un dossier national informatisé (FIVNAT) ou ces informations étaient analysées et rendues publiques. Grâce au dossier FIVNAT, il apparaissait que les cas de stérilités inexpliquées (dites « idiopathiques ») qui ont longtemps compté pour environ 10% des FIV, atteignaient 16% en 1995 puis 25% en 2001. Il est vraisemblable que l’infertilité est inexpliquée pour environ un tiers des couples acceptés aujourd’hui en FIV comme le confirme une étude de 2014 menée en Angleterre et en Hollande. Il importe alors de savoir si cette augmentation importante reflète une aggravation dramatique et soudaine de l’infertilité humaine (et pas seulement masculine) ou la surmédicalisation progressive des couples inféconds. De façon générale, les rapports annuels de contrôle et d’inspection des centres d’AMP, lesquels pour des raisons inconnues ne figurent plus sur le site de l’ABM depuis 2013, montraient que les activités biologiques d’AMP (celles qui concernent le laboratoire) sont soumises à des contrôles stricts tandis que les activités cliniques (dont la justification des indications médicales) semblaient laissées au jugement de chaque praticien, comme si ces nouvelles technologies ne devaient pas induire de nouvelles contraintes pour tous les professionnels.

 

La surmédicalisation de l’AMP peut aussi se voir dans le recours exceptionnel (seulement 0,5% des tentatives) à des cycles « naturels » (hors stimulation hormonale) ou dans la prépondérance de l’injection intra-ovulaire du spermatozoïde (ICSI) qui concerne les deux-tiers des FIV et même 82% des FIV avec don de sperme, situation où la qualité du spermatozoïde est pourtant assurée. Si l’ICSI représente un progrès majeur de la FIV, sa généralisation à des situations où elle ne serait pas nécessaire est symptomatique du privilège donné à la sophistication technique sur l’économie des moyens et des risques. Car la banalisation des artifices ne prend pas en compte le risque qui est pris à chaque fois que les conditions imposées aux gamètes ou aux embryons vont au-delà des actes nécessaires pour obtenir la grossesse. La découverte de l’existence de phénomènes épigénétiques, potentiellement graves et héritables mais qui demeurent largement inconnus, suggèrent que la précaution est requise. En effet, les conditions de culture imposées aux gamètes et embryons sont largement intuitives plutôt que scientifiquement justifiées.

 

D’autres techniques de fécondation in vitro plus hasardeuses

 

Si l’ICSI, véritable révolution dans la FIV, offre un recul de plus de 20 ans avec des résultats jusqu’ici rassurants pour la santé des enfants, ce n’est pas le cas d’autres techniques que l’ABM qualifie « techniques particulières ». Il s’agit par exemple de l’IMSI dont le but est la caractérisation microscopique du spermatozoïde à injecter dans la technique ICSI. Pratiquée par 41 centres, elle concerne 9% des tentatives. Une autre technique est « l’éclosion assistée » qui consiste à pratiquer une brèche dans l’enveloppe de l’embryon (zone pellucide) afin de favoriser son implantation ultérieure dans la muqueuse utérine. Utilisée par 18 centres elle s’applique dans 1,8% des tentatives (FIV et ICSI). Une troisième technique, la MIV, qui consiste à réaliser la maturation in vitro de l’ovocyte avant sa mise en fécondation demeure confidentielle puisqu’elle ne concerne que 5 centres et 73 tentatives en 2015. Aucune de ces « techniques particulières », certaines utilisées depuis plus de 20 ans, n’a pu démontrer son intérêt, au point où l’ABM doit préciser qu’« en l’absence d’études scientifiques randomisées portant sur de grands effectifs, les publications ont apporté des informations contradictoires ou peu concluantes, ne permettant pas de préciser les indications pour lesquelles la technique pourrait confirmer son utilité clinique. Les données présentées ici ne sont que purement descriptives. » Or, la liste de ces techniques particulières, correspond à un arrêté du 18 juin 2012 établi sur la base de leur efficacité, de leur reproductibilité, et de leur innocuité, toutes qualités que l’ABM elle-même dénie à ces pratiques…En 2013 a été ajoutée la technique de « prélèvement du globule polaire » aux fins d’analyse génétique, une pratique pour laquelle aucun essai n’est rapporté… Quelle nécessité a donc fait homologuer cette technique privée d’usages mais qui, elle aussi, est susceptible de perturber le développement embryonnaire ?

 

Ajoutons que d’autres actes de biologie non mentionnés dans les rapports d’activité sont ouvertement mis en jeu. Par exemple la microcinématographie en continu afin de suivre le développement in vitro de chaque embryon pour favoriser la sélection du « meilleur » d’entre eux. L’effet potentiellement néfaste des stress lumineux répétés n’est pas même envisagé par les promoteurs de cette technique.

 

Des risques pour l’embryon

 

Pourquoi ces pratiques hasardeuses ? Il apparaît que, afin de les réaliser, l’acquisition d’ un matériel spécifique et très coûteux est nécessaire : microscope inversé à forte résolution pour l’IMSI, dispositif laser pour l’éclosion assistée, microcinéma avec analyse d’images pour le contrôle du développement embryonnaire…Les fabricants de ces matériels, en collaboration initiale avec un centre d’AMP pionnier, produisent à chaque fois des « démonstrations » miraculeuses diffusées par les posters de congrès et sur internet, informations dont s’emparent les patients potentiels. Alors les centres qui ne recourent pas à la « nouvelle technique » risquent la ringardise…et l’acquisition du matériel onéreux pousse à son usage élargi pour amortir cet investissement autant que pour réaliser des profits sur des pratiques non homologuées c’est à dire à prix libre.

 

La  précaution aurait dû aussi s’appliquer à la culture prolongée de l’embryon laquelle double la durée de son séjour dans des conditions artificielles, une situation dont l’innocuité épigénétique n’est pas démontrée. Plusieurs travaux scientifiques démontrent l’influence du milieu de culture des embryons sur le développement post natal chez la souris[5] comme chez l’humain[6]. Sur la base d’un rendement bio-clinique  non défavorable, la culture prolongée figure déjà parmi les techniques agréées sans être passée par la case « recherche ». Elle est même encouragée par l’ABM afin « de recourir au transfert d’un seul embryon », une stratégie qui pourrait pourtant être réalisée hors de la culture prolongée. Ce que semble craindre l’Agence c’est l’accumulation d’embryons congelés. En permettant d’éliminer « naturellement » la moitié des embryons de 2 jours, ceux qui n’ont pas évolué en blastocyste pour des raisons intrinsèques ou techniques, la culture prolongée sert aussi à limiter le stock d’embryons congelés, lequel a augmenté de 18,6% depuis 2012 atteignant 221 538 embryons en 2015. Car les embryons conservés mais privés de projet parental sont infiniment plus nombreux (34 089 en 2015) que ceux effectivement absorbés par la recherche (aucun, voir plus loin) ou par l’accueil par un autre couple (moins de 500 chaque année). Si les campagnes médiatiques en faveur du don de gamètes s’élargissaient à l’accueil d’embryons on éviterait de nombreux actes d’AMP, tout en trouvant une issue digne à ces embryons sans devenir et en établissant une symétrie biologique de chacun des parents avec l’enfant comme il arrive dans l’adoption. Tout en inscrivant la grossesse dans la parentalité en devenir, au contraire de la GPA. Mais ceci ne serait possible, comme le fait remarquer l’ABM, qu’au prix de simplifications des formalités administratives et juridiques imposées aux centres d’AMP comme aux couples impliqués. Est-il nécessaire de recourir à un juge chargé d’évaluer la légitimité de l’offre d’embryons, par des couples qui ont le plus souvent « tourné la page » ? Ou pour évaluer les conditions de leur accueil par les couples receveurs potentiels, alors que le don des gamètes, y compris le double don (ovule et sperme, ce qui correspond au don d’un embryon potentiel) s’opère sous le seul contrôle des centres biomédicaux ? Il reste que l’accueil d’embryons, sauf à recourir à l”anonymat irréversible mais très problématique des acteurs, risque de générer des  questions insupportables pour les couples donneurs et receveurs comme pour les enfants de ces couples lesquels seraient biologiquement frères et sœurs.

 

Vers une nouvelle forme d’eugénisme, mou et consensuel

 

La disposition de spermatozoïdes en relative abondance à partir de géniteurs soigneusement évalués, et leur conservation dans des banques de sperme, ont ouvert la voie de la sélection des donneurs puis de leur « appariement » avec les femmes receveuses, initiant ce qui apparaît comme une nouvelle forme d’eugénisme, mou et consensuel[7].

 

La plupart des actes d’AMP sont réalisés avec les gamètes d’un couple. Cependant, 5% des enfants naissaient après don d’ovule (1%) et surtout de sperme (3.9%) en 2015. Certaines personnes conçues par don de sperme demandent aujourd’hui la possibilité de connaître leur géniteur pour des raisons médicales et surtout existentielles[8]. L’anonymat du donneur place les médecins des banques de sperme, seuls responsables du choix d’un géniteur, dans l’obligation de sélectionner les donneurs puis de les apparier génétiquement avec les patientes demandeuses afin de rechercher la ressemblance physique avec le père social d’une part, et de réduire d’autre part les facteurs cumulés de risques pathologiques. Le degré d’eugénisme contenu dans le choix du donneur ne peut qu’augmenter avec les progrès des enquêtes génétiques et les corrélations entre des caractéristiques génomiques  et des pathologies de plus en plus nombreuses. La question de l’anonymat, et de sa levée éventuelle à la demande des enfants conçus par IAD, est posée depuis longtemps au nom du droit de l’enfant à connaître ses origines. Mais on a jusqu’ici négligé l’aspect eugénique du choix du donneur. La société devrait pouvoir disposer d’informations complètes sur les critères actuels de sélection et d’attribution des donneurs par les banques de sperme, une mission qui relève des responsabilités de l”ABM.

 

Pour aller plus loin :

Bioéthique et Embryons in vitro : Diagnostic pré-implantatoire, la face cachée d’un l’eugénisme démocratique ?

Jacques Testart : « Quelle logique est en jeu dans cet acharnement à exiger que l’embryon humain soit livré à la recherche ? »

 

[1] L’article est publié avec l’autorisation de la Cour de Cassation.

[2] Insémination artificielle.

[3] Les médias nomment généralement « PMA » la pratique de l”IAD pour des femmes seules ou homosexuelles.

[4] Ces problèmes ont fait l’objet de commentaires personnels sur mon site (http://jacques.testart.free.fr/index.php?category/amp). Nous n”envisagerons ici que la thématique « embryons in vitro ».

[5] Banrezes et al. Adult body weight is programmed by a redox-regulated and energy-dependent process during the pronuclear stage in the mouse. Plos One, janvier 2012.

[6]Céline Bouillon & al., Does Embryo Culture Medium Influence the Health and Development of

Children Born after In Vitro Fertilization?, Plos One, 2016, DOI:10.1371/journal.pone.0150857.

[7]Jacques Testart : Faire des enfants demain, Seuil, 2014.

[8]« Combien ai-je de demi-frères et demi-soeurs dans la nature ? », Arthur et Audrey Kermalvezen, Le Monde, 18 janvier 2018 ?

Jacques Testart

Jacques Testart

Expert

Jacques Testart est biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Il est le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982. Il développe une réflexion critique sur les avancées incontrôlées de la science et de la technique dans ses nombreux écrits, dont L’œuf transparent, Flammarion, 1986 et Au Péril de l’humain, Seuil, 2018.

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