Bioéthique et Embryons in vitro : Diagnostic pré-implantatoire, la face cachée d’un l’eugénisme démocratique ?

Publié le 5 Mar, 2018

Tri embryonnaire, sélection des individus, dans une conférence donnée à la Cour de cassation le 15 février dernier[1], Jacques Testart, biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM, analyse les conséquences de la mise en œuvre du diagnostic pré-implantatoire (2/3).

 

 

Autorisé dès les premières lois de bioéthique, le DPI est encadré nationalement et localement.

 

On peut résumer ainsi l’évolution de l’acceptation du DPI en France :

  • années 1980 : le CCNE s’oppose par anticipation au DPI (inventé en 1990) pour risque eugénique au moment où paraît un livre qui alarme sur cette perspective[1].
  • 1994 : avec la première loi de bioéthique, le DPI est autorisé pour « éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité »  (art 152-2)  « Le diagnostic ne peut être effectué que lorsque a été préalablement et précisément identifiée, chez l’un des parents, l’anomalie ou les anomalies responsables d’une telle maladie »(art 162-17). Ainsi l’AMP s’ouvre à des couples fertiles.
  • 2000 : L’équipe de Strasbourg développe une nouvelle indication du DPI en cas de transmission d’un risque pathologique (cancer) plutôt que la transmission d’une pathologie. Ce qui ouvre la porte à la détection dans l’embryon d’innombrables facteurs de risques, lesquels sont  portés par tous les êtres humains
  • 2009 : Le CCNE (avis N° 107) propose de profiter d’une indication génétique justifiant le DPI selon la loi de 1994 pour soumettre les embryons à la détection d’autres pathologies (trisomies) qui ne sont pas identifiées chez les parents. Une mission parlementaire reprend cette proposition du CCNE en 2010. Ce DPI « opportuniste » étend encore le champ du tri des embryons.
  • 2009 : Dans le cadre des EGBE, la conférence citoyenne de Marseille propose de limiter le recours au DPI pour une seule caractéristique de l’ADN. Ceci afin d’éviter les dépistages multiples pouvant potentiellement aller jusqu’au « screening »de toutes les caractéristiques génétiques. Dans son rapport, la  Commission parlementaire élimine cette proposition sans la discuter
  • 2016: Le député JY Le Déaut (OPCEST) rédige une proposition de loi[2] pour la généralisation du DPI. En effet le « dépistage d’un risque d”une particulière gravité du développement embryonnaire » que propose le député concerne potentiellement tout embryon, par exemple ceux qui seraient issus de couples dont la tentative précédente de fivète a échouée,  soit 80% des couples.

 

Les raisons extensives du tri embryonnaire

 

A l’origine, le DPI visait les mêmes situations dramatiques que celles qui justifient l’interruption médicale de grossesse (IMG). Certains présentaient donc le DPI comme un « DPN précoce ». Mais, alors que le nombre des indications de l’IMG évoluent peu, celles du DPI augmentent d’au moins 10% chaque année, atteignant 221 « maladies » de l’ADN en 2015 et ce ne sont pas seulement les « progrès de la science » qui justifient l’extension des pratiques. Le DPI est déjà utilisé ailleurs qu’en France pour le choix du sexe (exemple : USA) ou pour éviter certaines caractéristiques sans pronostic vital (exemple : strabisme en GB). En France, il permet d’éliminer des embryons porteurs de handicaps relatifs comme l’hémophilie ou de risques aléatoires de pathologies. L’évolution des usages proposés et/ou autorisés du DPI, dont il faut reconnaître qu’elle est plus lente en France que dans d’autres pays, progresse dans le même sens partout : celui d’une ouverture de plus en plus large des indications médicales justifiant le tri des embryons. Or, aucune nouvelle découverte scientifique ou innovation technique ne justifie chacune de ces « avancées ». Il s’agit donc pour les équipes biomédicales de proposer ou d’accepter le recours au DPI dans des situations de plus en plus diversifiées auxquelles rien ne permet d’opposer une limite indiscutable puisque tout handicap peut être jugé « particulièrement grave et sans traitement au moment du diagnostic ».

 

Dans ces conditions, c’est principalement la pénibilité des actes de fivète et le nombre relativement faible d’embryons obtenus (environ 5-6 par traitement) qui limitent l’expansion du DPI, lequel n’a permis que 227 naissances en 2015 (ce qui est cependant trois fois plus qu’en 2011). La perspective récente de disposer d’embryons en abondance devrait renforcer l’extension de ces pratiques, d’autant qu’elles  s’accompagnent de la suppression des servitudes médicales liées à la stimulation et au recueil des ovocytes. Des travaux récents chez la souris  montrent en effet la possibilité de transformer des cellules banales en gamètes, lesquels peuvent être à l’origine de souriceaux viables et fertiles [3]. Il est très vraisemblable que dans l’espèce humaine aussi on saura bientôt générer des gamètes, et donc des embryons, à partir de cellules de la peau. Or, de telles perspectives qui pourraient conduire à la généralisation du DPI pour toutes les conceptions humaines ne font l’objet d”aucun débat.

 

Sur la qualification d’eugénisme

 

Il faut souligner l’efficacité sélective considérable du DPI par rapport aux pratiques eugéniques classiques, lesquelles visaient le choix des géniteurs. En effet, le génome de l’embryon est celui de la personne à venir tandis que les géniteurs ne portent que des éventualités de réalisation génétique. Pourtant, le qualificatif « eugénisme » demeure vague jusque dans le code pénal qui définit comme crime social majeur « le fait de mettre en oeuvre  une pratique eugénique tendant  à l’organisation de la sélection de personnes »mais sans définir cette pratique. Aussi le juriste Christian Byk (association internationale Droit, Ethique et Science) propose de reprendre la définition de G Hottois et JN Missa[4], laquelle qualifie d’eugénique « toute pratique susceptible d’influencer la transmission des caractères héréditaires afin d’améliorer l’espèce humaine ». Cette définition n’implique aucune coercition, le crime d’eugénisme pouvant résulter d’actes librement consentis. La qualification d’eugénisme est souvent rejeté dans les pratiques d’AMP (IAD et DPI), par méconnaissance de l’histoire de cette idéologie qui ne se confond pas avec celle du nazisme[5]. Soulignons que l”eugénisme, mis largement en pratique par la médecine dès le début du 20ième siècle, ne se caractérise pas par la violence ou le sadisme de ses actes mais par la volonté de sélectionner les individus ou les caractères les plus valorisés. En 1997, le comité international de bioéthique énonçait que « nul ne peut être soumis à la discrimination sur la base de caractéristiques génétiques(…)Les individus doivent être respectés dans leur singularité et leur diversité ». Une exigence de plus en plus mise à mal par les identifiants génétiques.

 

Cependant, selon certains, le DPI réalisé sur les embryons de patients demandeurs ne viserait pas « l’organisation de la sélection de personnes » puisqu’il intervient à chaque fois au sein de familles singulières. Or, dans son étude pour la révision des lois de bioéthique en mai 2009[6], le Conseil d’Etat affirme qu’un certain eugénisme peut résulter de la convergence de décisions individuelles et il précise que « l’eugénisme peut être désigné comme l’ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine. Il peut être le fruit d’une politique délibérément menée par un Etat et contraire à la dignité humaine. Il peut aussi être le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, dans une société où primerait la recherche de l’ « enfant parfait », ou du moins indemne de nombreuses affections graves ». Qui peut nier qu’une telle société ressemble à celle que nous construisons au jour le jour ? Puis, le Conseil d’Etat se veut rassurant en ajoutant que les conditions d’accès au DPI, qui ne permettent de rechercher qu’une ou plusieurs maladies préalablement identifiées dont l’un des parents est porteur, font juridiquement obstacle au « criblage » génétique préimplantatoire… ». Ce commentaire indique pour la première fois que le DPI est disponible pour dépister simultanément plusieurs maladies dans chaque embryon ce qui ouvre la perspective d’un tri basé sur l’examen de la totalité du génome. Que ces maladies soient « préalablement identifiées » ne constituerait une barrière à l’eugénisme que si le séquençage du génome des individus n’était pas capable de révéler de nombreux risques pathologiques chez tout le monde (au moins une centaine selon le généticien Arnold Munnich). Or, ce séquençage, actuellement interdit pour convenance personnelle en France, est de plus en plus pratiqué avec l’aide de laboratoires étrangers, et l’Etat français met en place des plate-formes performantes pour le réaliser, avec l’ambition de connaître les génomes de toute la population dans le cadre de la médecine dite « personnalisée ». Ce qui permettra de connaître des configurations défavorables de l’ADN en l”absence de symptômes et de justifier ainsi des demandes sans limites de procéder au DPI…puisque cet acte préventif demeurera infiniment plus efficace que les thérapies géniques.

 

Le plus grand péril éthique

 

Il est donc acquis que le DPI est déjà utilisé pour éliminer des embryons porteurs de facteurs de risque pathologique et pas seulement pour empêcher la transmission d’une « maladie particulièrement grave ». Les récents développements scientifiques ouvrent la perspective de détecter une grande variété de configurations de l’ADN sur chacun des embryons qui seraient produits en grand nombre (plusieurs  centaines ?). Déjà des compagnies [7] proposent de détecter pour seulement 1500 dollars les gènes impliqués dans environ 1000 maladies graves. De telles détections pourraient être menées chez les embryons in vitro, tout en réduisant considérablement les servitudes imposées aux patientes par les conditions actuelles de la FIV puisque les actes lourds de stimulation ovarienne et de prélèvement ovocytaire seraient supprimés si les gamètes proviennent de cellules banales. Ainsi il est vraisemblable que, sauf restriction éthique forte, un véritable eugénisme de masse se mettra en place à moyen terme (10 ou 20 ans ?). Nous pensons que la seule mesure sérieuse d’opposition à cette perspective consiste à limiter le DPI à un seul trait génétique pour l’ensemble des embryons conçus par un couple. C’est ce que nous proposions il y a 19 ans[8] et qui fut repris par la conférence citoyenne de Marseille, dans le cadre des Etats Généraux de la bioéthique en 2009, sans entrainer toutefois de discussion au Parlement. Ainsi seulement pourrait-on assimiler le DPI à un « DPN précoce ». En effet, l’eugénisme inhérent à l’acte DPN/IMG est définitivement contraint par la présence in utero d’un seul conceptus. Il reste qu’une telle mesure ne constituerait un garde-fou efficace contre l’eugénisme qu’à la condition d’un consensus international. Ce pourrait être à l’honneur de la France de défendre cette proposition. Mais le temps presse : chaque année qui passe avec son lot de « progrès » fabrique aussi de l”irréversible.

 

Pour aller plus loin :

Bioéthique et Embryons in vitro : Où en est l’assistance médicale à la procréation ?

Jacques Testart : « Quelle logique est en jeu dans cet acharnement à exiger que l’embryon humain soit livré à la recherche ? »

 

[1]J Testart : L”oeuf transparent, Flammarion, 1986.

[3]Voir J Testart : Dernier pas vers la sélection humaine, Le Monde diplomatique, juillet 2017 : http://jacques.testart.free.fr/public/pdf/texte1010.pdf

[4]G Hottois et JN Missa : Nouvelle encyclopédie de bioéthique, De Boeck Univ, Bruxelles, 2001, p 416.

[5]A Pichot et J Testart: Les métamorphoses de l’eugénisme. Encyclopedia universalis : http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte764

[7]Au Japon Genetics Healthcare propose de vérifier la compatibilité des futurs parents en identifiant les gènes de 1050 pathologies récessives. Une firme de Boston US Veritas propose d’identifier dès l”enfance 950 risques de maladies graves ainsi que 200 gènes liés aux réactions médicamenteuses et 100 « traits physiques », le tout pour 1500 dollars.

[8]J Testart et B Sèle. Voir encadré « Comment contenir l”eugénisme du DPI » in Faire des enfants demain, p138.

Jacques Testart

Jacques Testart

Expert

Jacques Testart est biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Il est le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982. Il développe une réflexion critique sur les avancées incontrôlées de la science et de la technique dans ses nombreux écrits, dont L’œuf transparent, Flammarion, 1986 et Au Péril de l’humain, Seuil, 2018.

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