Bioéthique : Des avortements pour des enfants porteurs de pathologies d’une extrême gravité ?

Publié le 4 Sep, 2019

Les auditions de la Commission spéciale bioéthique se sont poursuivies mardi 3 septembre avec celle de la présidente de la Fédération française des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN), le docteur Alexandra Benachi. Elle a commenté pour les députés, les articles 19 et 20 du projet de loi de bioéthique.

 

L’article 19[1] propose de mettre « en cohérence la définition du diagnostic prénatal »[2], cet examen qui permet de détecter, en cours de grossesse, certaines maladies fœtales comme la trisomie 21, tandis que l’article 20[3] vise à poser un cadre législatif pour les interruptions sélectives de grossesse (ISG)[4] qui échappent actuellement à la loi et à supprimer le délai de réflexion actuellement imposé pour une interruption médicale de grossesse.

 

« Ce qui est important pour nous c’est de faire reconnaitre l’évolution de notre spécialité, le diagnostic prénatal (DPN), depuis sa création dans les années 1990. Aujourd’hui si on veut reconnaitre notre spécialité, il faudrait ne parler que de médecine fœtale qui inclut le diagnostic prénatal », explique le dr Alexandra Benachi, et non pas l’inverse comme le suggère le texte du projet de loi. Auditionnée par la Commission spéciale de bioéthique mardi 4 septembre, la gynécologue-obstétricienne a tenu à rappeler que la définition des premières lois de bioéthique ne parlait que de diagnostic prénatal parce qu’à l’époque, la médecine ne savait pas traiter les enfants in utero, ni par voie médicamenteuse, ni par voie chirurgicale. Elle demande donc une modification de la définition incriminée. Ce qui est dommage car la modification instituée par le projet de loi était positive.

 

Des avortements pour des enfants porteurs de pathologies d’une extrême gravité

 

Dans son introduction, elle a signifié qu’en cas d’IMG[5] pratiquées pour des bébés atteints de « pathologies d’une extrême gravité non curables au diagnostic », le projet de loi impose à la femme d’informer son conjoint. Si Alexandra Benachi reconnait que le conjoint a légalement son mot à dire, elle estime qu’il n’est pas possible que la décision soit celle du couple. « Il faut laisser à la femme son autonomie, comme c’était le cas précédemment, et comme c’est le cas dans les règles de bonnes pratiques » fixées par arrêté pour le DPN. « On a besoin que de la signature de la femme (…) on ne peut pas attendre l’accord du conjoint. En pratique, ce n’est pas réalisable », explique-t-elle. Et personne ne reviendra sur cette question au cours de l’audition. Pourtant, l’éviction de l’homme dans le processus de décision est-il si évident ? Beaucoup d’hommes en effet, vivent très mal de n’avoir pas le droit d’une parole concernant le devenir de celui qui est aussi leur enfant (cf. L’avortement n’épargne pas les hommes).

 

Pour l’article 20, sur les interruptions de grossesse, un alinéa a été ajouté concernant les interruptions sélectives de grossesse. Ce texte, tel qu’il est rédigé, ne correspond pas à la réalité, estime la praticienne. Aujourd’hui, ce type d’avortement n’est pas règlementé, « les patientes ne sont pas obligées de remplir des papiers comme pour les interruptions volontaires de grossesse, mais on a demandé à l’Agence de la biomédecine de les répertorier », précise-t-elle, comme pour expliquer qu’elles sont malgré tout « sous contrôle ». Ces interruptions sélectives peuvent concerner des malformations fœtales : dans le cas d’une grossesse gémellaire, quand l’un des deux bébés est atteint d’une pathologie grave, on peut alors « être amené à pratiquer un avortement sur ce fœtus malformé ». Si le législateur indique qu’on ne peut pas faire de réduction embryonnaire dans ces indications, « clairement vous nous empêchez de travailler », explique Alexandra Benachi. Et ce sera un peu le leitmotiv de cette audition : « Il faut absolument qu’on ait le droit de le faire » ; « Il ne faut pas nous obliger… ».

 

Elle détaille ensuite l’ensemble des circonstances qui vont conduire à une IMG. Outre les anomalies fœtales, un autre cas est celui d’une grossesse multiple avec pathologie maternelle. Dans ce cas, la grossesse multiple peut mettre en danger la vie de la mère et « on conseille l’intervention sélective », qui intervient la plupart du temps avant la 14e semaine d’aménorrhée. Autre cas, celui des interventions de grossesse sélective pour grossesses « hypermultiples ». C’est rare dans la nature, mais plus fréquent dans le cadre de l’AMP[6]. Et la praticienne explique que l’être humain n’est pas fait pour porter des triplés ou des quadruplés : les risques pour la santé de la patiente, diabète, hypertension de fin de grossesse, sont beaucoup plus importants, ainsi que les risques d’accouchement prématuré « entre 26 ou 36 semaines ». Le fœtus avorté sera « celui qui est le plus accessible » ou, précisera-t-elle plus tard, « celui qui est malade »… C’est pour cette raison que l’IMG n’est pas pratiquée avant l’échographie qui se situe entre 11 et 14 semaines. Elle donnera une idée de l’état de santé des bébés. Mais, on ne regarde « jamais le sexe  du fœtus », se défend-elle. « Ce sont des gestes qui ont 5% de risques de fausses couches », poursuit la gynécologue d’un ton monocorde, et « pour des patientes qui sont parfois déjà passées par une AMP et qui se retrouvent à prendre la décision de faire une réduction embryonnaire… ». Elle ajoute, « la situation est déjà assez difficile pour elle »… avant de préciser la procédure, « pareil, on injecte un produit dans le cordon ».

 

Vers le dépistage préconceptionnel ?

 

Pour le dépistage préconceptionnel en population générale[7] (cf. Dépistage pré-conceptionnel : faut-il étendre les tests ?), Alexandra Benachi explique qu’elle fait  « du diagnostic prénatal depuis 25 ans », et précise « je fais des interruptions de grossesse pour pathologie génétique ». Il y a, selon les années, 10 à 20% d’IMG qui sont pratiquées pour des maladies génétiques fréquentes, mucoviscidose, Xfragile et donc, « je ne peux pas être contre du dépistage, on peut commencer par du préconceptionnel. Certes, où mettons nous la barre de quelles pathologies choisir : décès néonatal ? décès à 4 mois ? à 8 mois… ? (…) Il y a des anomalies très fréquentes que je vous ai citées », et explique-t-elle, « c’est vraiment très dommage que ce ne soit pas dans la loi ». Pour faire du dépistage en population générale, il faut « s’organiser derrière », c’est-à-dire, ce qu’elle ne précise pas, mettre en place les moyens de ces ambitions : financiers, matériels, mais aussi humains pour expliquer les résultats des tests…. Elle ajoute : « Si on peut éviter les interruptions de grossesse à ces couples, je suis très favorable ». Pour quelle alternative ? Là encore, la praticienne ne dit rien, mais, selon toute vraisemblance, les couples seront dirigés vers l’AMP et les embryons seront passés au crible du diagnostic préimplantatoire, une technique plus sournoise qui donne l’impression d’être neutre et indolore, mais qui a le même effet : au lieu de détruire un fœtus, on détruit un embryon, c’est-à-dire la même personne, mais à un stade de développement plus précoce et hors utérus. Et parce qu’une AMP conduira forcément à la fabrication d’un certain nombre d’embryons, ils seront plus nombreux à passer au crible pour être détruits ou congelés en attente d’un hypothétique devenir. Pour la femme, et éventuellement le couple, que cette procédure est censée protéger, il n’est pas certain qu’elle soit à terme si simple à assumer.

 

Interrogée sur le DPI-A[8], Alexanda Benachi estime que « pour certaines applications, c’est très important », ainsi que pour les patientes plus âgées : « les taux de grossesse seraient bien meilleurs » et « ça diminuerait les coûts de l’AMP ». Elle raconte : « Une ou deux fois par an on a une patiente qui passe par un DPI et qui fait tout un parcours. Et puis l’enfant a une trisomie 21 (…) Ça ne me semble pas logique d’accepter le dépistage prénatal de la trisomie 21, et ça on est très content que ça existe pendant la grossesse, et de ne pas le faire sur les embryons » avant l’implantation.

 

Les intersexes et le diagnostic prénatal

 

Raphaël Gérard, député LREM, va poser une question « sur les enjeux éthiques » de la pratique « des tests anténataux » et des IMG en cas de « variation du développement sexuel », autrement dit à propos des personnes intersexes. « D’après le commissariat aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, 88% des grossesses sont interrompues en cas de variation XXY repérée ». Il ajoute : « Je me demande si c’est bien le rôle de la médecine de qualifier ce qu’est une vie heureuse, fiable et vivable et de décider si l’enfant pourra s’épanouir ou non avec des caractéristiques sexuelles différenciées ». Faut-il remplacer le cadre existant « pour éviter l’atteinte à l’intégrité des personnes intersexes in utéro » ? interroge-t-il. La question du député est excellente, mais elle est loin de ne s’appliquer qu’aux personnes intersexes ! Pourquoi ne pas l’appliquer aux dépistages de la trisomie 21 ? De la mucoviscidose ? De l’Xfragile ? De… ? La question prendrait-elle un tour idéologique dès lors que des personnes concernées seraient liées à un lobby ayant le vent en poupe ? La réponse donnée par Alexandra Benachi est claire : bien sûr, pas d’avortement dans ces cas-là, sauf pathologie très grave.

 

Interrogée dans la foulée sur le nombre d’IMG, elle avance celui de 7000 par an, « un chiffre parfaitement stable depuis 10 ans avec des petites variations »[9], et environ 50 000 consultations dans les CPDPN. Les IMG les plus fréquentes concernent les anomalies chromosomiques, trisomie 21 la plus fréquente, ensuite trisomie 13 et 18, et certaines malformations, l’anencéphalie, le spina bifida, toutes les anomalies de fermeture du tube neural. 3% des enfants ont une malformation, « la nature n’est pas si bien faite », explique-t-elle sans sourciller. « La plupart du temps ce sont des maladies gravissimes », justifie-t-elle. Sauf, pourquoi ne l’explique-t-elle pas , qu’on vit très bien et très longtemps porteur d’une T21… Elle constate que de plus en plus de couples, dont les bébés sont atteints de maladies létales, qui vont mourir à la naissance, demandent un accompagnement néonatal. Des pratiques qui sont de plus en plus proposées, et c’est un point positif à souligner dans cette audition terrible, mais « il faut que le bébé soit atteint d’une pathologie létale », c’est-à-dire, que la perspective soit celle de la mort à la naissance, « parce que la loi impose qu’une fois que l’enfant est sorti, on le prend en charge… ». Ce qui signifierait, vulgairement, « qu’il ne faut pas se rater » et laisser la vie à un enfant malade qu’il faudra ensuite assumer ?

 

Ce qui est vertigineux ici, c’est que tout semble lisse, évident. La sélection des fœtus, les avortements,… Si elle estime en fin d’audition que « tout ce qui peut éviter une IVG, est mieux » parce que l’interruption de grossesse, « c’est épouvantable », pourquoi continuer à l’imposer aux femmes et à travers elles aux couples en balayant d’un revers de main la question de l’eugénisme ?

 

Interrogée sur la question de la suppression du délai pour une IMG, Alexandra Benachi répond que « dans 99% des cas, on donne du temps », parce qu’en pratique, il est très important « de respecter le délai entre l’annonce, la décision et l’IMG », mais « pour certaines patientes, c’est bien de faire très vite » alors, une fois encore, « c’est bien de ne pas nous mettre de contrainte ».

 

Plusieurs fois les questions des députés de la commission l’obligent à redire ce qu’elle a déjà dit, donnant l’impression qu’ils n’écoutent pas ou… qu’ils ne comprennent pas. Que voteront-ils s’ils ne comprennent pas les sujets qui leurs sont présentés ?

 

Pour aller plus loin :

A l’Assemblée nationale, les représentants de l’industrie procréatique enfoncent le clou

Auditions à l’Assemblée nationale, un Conseil de l’ordre des médecins atone

Bioéthique : pourquoi la commission spéciale mène-t-elle des auditions ?

Le Pr René Frydman auditionné sur la PMA : l’enjeu majeur est la recherche sur l’embryon

 


[1] « L’article 19 met en cohérence la définition du diagnostic prénatal qui, actuellement, ne prend pas en compte les objectifs de la démarche en termes de prise en charge adaptée et de soins apportés au fœtus. Il permet également de renforcer l’information de la femme enceinte quand il est fait recours à de nouvelles techniques de génétique pour explorer un risque avéré de pathologie fœtale », Projet de loi Bioéthique.

[3] « L’article 20 pose l’encadrement des pratiques de réductions embryonnaires (interruption du développement d’un ou plusieurs embryons ou fœtus en cas de grossesse multiple pour des raisons médicales), qui n’entrent pas dans le cadre légal de l’interruption de grossesse pour raison médicale et ne répondent pas non plus au cadre de l’interruption volontaire de grossesse réalisée avant la 14ème semaine d’aménorrhée. L’article supprime également la proposition systématique d’un délai de réflexion en cas d’interruption de grossesse pour raison médicale », Projet de loi Bioéthique.

[4] Réductions embryonnaires, le plus souvent effectuées dans le cadre de procédure de PMA.

[5] Interruption Médicale de Grossesse.

[6] Aide Médicale à la Procréation, PMA.

[7] Ces tests ont pour objectif de dépister les désordres génétiques en amont, avant que les couples décident d’avoir un enfant. Il pourrait être proposé au cas par cas, pour certains types de populations ou bien en population générale, c’est-à-dire pour tous.

[8] Diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies, notamment des trisomies 21, 13 et 18.

[9] Source, ABM.

 

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