L’Afrique du Sud a modifié ses lignes directrices en matière d’éthique de la recherche dans le domaine de la santé au mois de mai dernier [1]. Ce faisant, elle est devenue « le premier pays à autoriser explicitement l’utilisation de l’édition du génome pour créer des enfants génétiquement modifiés ». Un « précipice éthique » alerte Françoise Baylis, professeur de recherche émérite à l’Université Dalhousie et membre de l’International Science Council, et de la World Commission on the Ethics of Scientific Knowledge and Technology (COMEST) de l’Unesco.
Des directives en contradiction avec la législation
L’édition du génome humain est depuis longtemps très contestée, essentiellement à cause de ses « implications sociétales et eugéniques », rappelle le professeur (cf. He Jiankui : pas d’excuses, pas de regrets ?).
Elle relève que la section 4.3.2 des lignes directrices sud-africaines, intitulée « Heritable Human Genome Editing », comprend « quelques paragraphes brefs et plutôt vagues » qui énumèrent les critères qualifiant « des pratiques responsables et prudentes » pour ce type de manipulation : « (a) justification scientifique et médicale ; (b) transparence et consentement éclairé ; (c) surveillance éthique rigoureuse ; (d) évaluation et adaptation éthiques continues ; (e) sécurité et efficacité ; (f) suivi à long terme ; et (g) respect de la législation ».
Cette position « permissive » est toutefois en contradiction avec la législation en vigueur. En effet, l’article 57(1) du South African National Health Act 2004 relatif à « l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains » dispose qu’une personne ne peut « manipuler aucun matériel génétique, y compris le matériel génétique de gamètes, de zygotes ou d’embryons humains » « à des fins de clonage reproductif d’un être humain ».
Vers un « tourisme » de la recherche ?
Lorsque cette loi est entrée en vigueur en 2004, il n’était pas encore possible de modifier génétiquement les embryons humains. « Il n’est donc pas surprenant qu’il n’y ait pas de référence spécifique à cette technologie », analyse Françoise Baylis. Pourtant, « la formulation de la loi est clairement assez large pour l’englober », considère le professeur. « L’objection à la manipulation du matériel génétique humain est claire et impose une interdiction de l’édition du génome humain héréditaire. »
« Quel est donc l’intérêt de tracer une voie pour la recherche sur l’édition du génome humain héréditaire, qui implique la modification génétique d’embryons et a des implications pour les générations suivantes ? Et pourquoi cette modification apparemment silencieuse des lignes directrices ? », interroge le chercheur. « Combien de Sud-Africains savent qu’ils viennent de devenir le seul pays au monde dont les lignes directrices en matière de recherche envisagent de prendre en compte une technologie très contestée ? » (cf. Des bébés génétiquement modifiés ? « Inacceptable à l’heure actuelle » pour les scientifiques)
Françoise Baylis s’inquiète : si la loi est mise en conformité avec les dernières lignes directrices, assistera-t-on à une « vague de tourisme scientifique » conduisant des laboratoires à se déplacer en Afrique du Sud pour « profiter de lignes directrices et de lois permissives en matière de recherche » ?
[1] South African Ethics in Health Research Guidelines: Principles, Processes and Structures, Third Edition 2024.
Source : The Conversation, Françoise Baylis (25/10/2024) – Photo : iStock