« Bébé-médicament » : le volte-face contre l’embryon

Publié le 29 Mar, 2021

A l’heure où le projet de loi de bioéthique s’apprête à subir une ultime navette, Lucie Pacherie, juriste à la Fondation Jérôme Lejeune, fait le point sur la technique dite du « bébé médicament ».

 

L’examen du projet de loi bioéthique s’approche de la fin. Après deux lectures dans chaque chambre, la commission mixte paritaire n’a pas trouvé de texte de compromis. Mais avant même la troisième navette, et l’ultime lecture des députés, certains articles du projet de loi ont été « votés conformes ». Leur sort est définitif, ils seront intégrés dans la loi bioéthique 2021. C’est le cas de l’article 19bisA relatif au DPI-HLA, ce double diagnostic préimplantatoire (DPI) qui consiste à faire naître un « bébé médicament ». Après quelques tâtonnements, la navette parlementaire a donné raison à cette technique en supprimant toutes les limites qui l’entouraient. La transgression explose, comme d’habitude, au détriment de l’embryon humain. Signe que le sens des limites n’est plus…du tout.

2004, la rupture avec l’éthique  

Le « bébé médicament » consiste à choisir dans les embryons fabriqués par fécondation in vitro, celui qui répond aux deux critères suivants : être indemne de la maladie génétique héréditaire des parents et être immuno-compatible avec son grand frère ou sa grande sœur atteint de cette maladie génétique. C’est la loi bioéthique de 2004 qui a autorisé cette technique (article L2131-4-1 du code de la santé publique) en présentant ce double DPI comme permettant de sauver un membre de la fratrie malade grâce à la greffe qui pourrait s’en suivre une fois le « bébé médicament » né. Un argument qui avait emporté l’adhésion compassionnelle de beaucoup puisqu’il s’agissait de pouvoir guérir un enfant condamné. Pour remporter l’adhésion, on a d’ailleurs nommé cette technique « bébé du double espoir ». Mais cette émouvante appellation omettait de dire que les embryons en éprouvette étaient passés au crible puis jetés s’ils ne remplissaient pas les deux critères de sélection. Elle omettait aussi de dire que l’embryon élu allait naître non pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’on allait pouvoir tirer de lui : le sang de son cordon ombilical. L’enfant était donc désiré non pas pour lui, mais pour ce que l’on allait pouvoir en tirer. L’enfant est instrumentalisé, et les embryons chosifiés.

L’échec de la technique

Les débats bioéthiques de 2020 ont fait ressurgir la question du DPI-HLA. Jean-François Eliaou, député LREM, rapporteur du texte, était partagé entre supprimer cette technique ou faire sauter ses limites. C’est son amendement de suppression qui a été adopté, son discours ayant été convaincant :

« Depuis quatre ans, en effet, cette pratique n’est plus utilisée en France, et un seul centre la proposait alors, à Paris. Je peux vous dire, en outre, pour l’avoir pratiqué, qu’il s’agit d’un dispositif très complexe techniquement parlant. Dans le cadre du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur l’évaluation de l’application de la loi bioéthique de 2011, j’en étais donc arrivé à la conclusion qu’il fallait supprimer la pratique du DPI-HLA, notamment pour des raisons d’ordre éthique. »

Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, avait abondé en précisant les chiffres : en 9 ans, 25 couples ont été pris en charge, 9 enfants sont nés à l’issue d’un double DPI, 5 enfants étaient HLA compatibles, 3 greffes ont été pratiquées. Elle poursuivait en rappelant que « la probabilité que l’embryon soit HLA compatible est d’un sur quatre : seul un embryon sur seize sera à la fois indemne et susceptible de permettre une greffe de sang de cordon ombilical. Il faut tenir compte en outre de la probabilité de réussite de la fécondation in vitro (FIV), qui est de 20 %. La probabilité de réussite du DPI-HLA est donc d’un sur quatre-vingts. »[1]

Autrement dit, la technique du DPI-HLA est un échec. Un échec qui pèse lourd puisqu’il sacrifie de nombreux embryons humains.

La phobie des limites

La suppression du DPI-HLA provoquée par Jean-François Eliaou était à peine croyable tant ce revirement éthique était à contre-courant. Cela n’a pas duré. Les sénateurs, à l’initiative de Corinne Imbert (LR) l’ont immédiatement restauré en 1ère lecture (amendement n°COM-145). Et, en 2ème lecture les députés sont allés plus loin faisant un véritable volte-face. De la suppression pour des raisons techniques et éthiques en 1ère lecture, ils ont supprimé l’unique limite posée par le 4ème alinéa de l’article L2141-3 du code de la santé publique en 2ème lecture. Cet article dispose qu’ : « Un couple dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci sauf si un problème de qualité affecte ces embryons ». Jean-François Eliaou explique : « Aux termes de l’article L.2141-3, on ne peut aujourd’hui fabriquer une nouvelle série d’embryons sans implantation des précédents que si les premiers présentent une anomalie qualitative, ce qui ne correspond pas au cas où, après le tri, aucun embryon ne serait à la fois sain et compatible ».

Autrement dit, les députés ont soustrait le DPI-HLA à l’interdiction de créer de nouveaux embryons tant que le couple en dispose encore en « stock ». Ils légalisent en outre le principe de création d’embryons sans limite en ajoutant la mention ci-dessous en gras au dernier alinéa de l’article L2131-4-1 du code de la santé publique : « La réalisation du diagnostic, accompagnée, le cas échéant, de nouvelles tentatives de fécondation in vitro, est soumise à la délivrance d’une autorisation par l’Agence de la biomédecine ».

La loi bioéthique de 2021 autorisera donc « la fabrication d’embryons jusqu’à en obtenir un qui aurait les caractéristiques recherchées ». La technique ne saurait être gênée par une seule limite.

2021, la perte de sens de l’embryon humain

2021 marque la surenchère dans la transgression. La création d’embryons n’aura aucune limite de nombre. La disproportion est pourtant flagrante. Si l’on se réfère aux chiffres avancés par Agnès Buzyn, il faut créer et implanter 5 embryons HLA compatibles pour être sûr qu’un enfant naisse (20% de réussite des FIV), et avoir l’espoir d’une greffe. Pour obtenir ces 5 embryons compatibles, il faut créer 80 embryons par couple (1 embryon sur 16 est compatible). Mais qui s’est demandé ce que les 79 autres embryons du couple deviendront ? Personne ne s’est interrogé. Ils viendront gonfler le stock d’embryons surnuméraires qui attendent dans les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS).

Il faut noter que la France compte en 2019 245 590 embryons surnuméraires conservés dans les cuves d’azote[2]. Ces embryons sont, pour la majorité, les rebuts de l’Assistance médicale à la procréation (AMP), dépourvus de projet parental. Ils finiront par être jetés, donnés à la recherche, ou très exceptionnellement donnés à un autre couple. Le « bébé médicament » tel que prévu par la loi bioéthique 2021 va continuer d’alimenter ce processus qui démontre la perte totale de sens de ce qu’est l’embryon humain.

La fabrication et la congélation d’embryons humains n’interroge plus. L’habitude a été bien trop prise en 40 ans d’AMP. L’anesthésie est telle que la création d’embryons humains en grand nombre pour obtenir un seul « bébé médicament » ne semble pas choquer.

Certains pourraient espérer une régulation par l’Agence de la biomédecine, compétente pour autoriser le double DPI et les nouvelles tentatives de FIV, comme le prévoit le nouvel article L2131-4-1 du code de la santé publique. Mais pourra-t-on compter sur une agence dont l’impartialité est mise en doute par des voix autorisées ? Emmanuel Hirsch et Pierre-Yves Le Coz ont dénoncé il y a plusieurs années le « biopouvoir […] d’un dispositif biopolitique multiforme et tentaculaire, redoutablement bien organisé, avec ses antennes hexagonales, ses délégués prêts à débarquer dans des réunions d’éthique sans y être conviés. Il leur arrive même d’empêcher des conférenciers de s’exprimer dans des congrès internationaux quand ils pressentent que leur idéologie est en danger »[3]. Pourra-t-on compter sur une agence qui autorise des protocoles de recherche sur l’embryon humain qui vont jusqu’à détruire entre 150 et 200 embryons ?[4] Jacques Testart, initiateur de l’AMP en France, le dit lui-même : « on confie la gestion des limites à des autorités qui seraient par principe non critiquables. Le Comité consultatif national d’éthique ou l’Agence de la biomédecine, par exemple. Mais cette dernière est au service de la science elle aussi, et se laisse donc griser par les “progrès” de la médecine ! […] Il n’y a donc aucun contre-pouvoir dans ce domaine ? »[5]

Cette agence d’Etat valide et encourage depuis des années les activités lucratives de procréation médicalement assistée et de recherche sur l’embryon humain. Comment pourrait-elle avoir encore le moindre sens de la dignité du plus petit de l’espèce humaine ?

Il est urgent de réagir. Si en bioéthique le sens des limites n’existe plus depuis longtemps, l’embryon humain restera invariablement l’un d’entre nous. On ne peut accepter qu’il soit produit en masse pour le seul diktat de la science et de la technique.

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[1] compte rendu commission spéciale 1ère lecture AN

[2] Rapport d’activité médicale et scientifique 2019 de l’ABM

[3] Le Quotidien du Médecin, « L’Agence de la biomédecine : menace d’un biopouvoir en France », 16 novembre 2010

[4] Autorisations de recherche sur l’embryon humain publiées au journal officiel du 20 novembre 2020 ou du 24 mars 2021

[5] Valeurs Actuelles, « Dr Testart : “L’eugénisme s’affirme comme projet de société” », 13 février 2019

Lucie Pacherie

Lucie Pacherie

Expert

Lucie Pacherie est titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Elle s’est spécialisée en droit de la santé et responsabilité médicale et est juriste de la fondation Jérôme Lejeune depuis 2010. Elle est co-auteur du livre Les sacrifiés de la recherche publié en 2020.

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