Baisse de la natalité et de la fertilité : un avis timide du CCNE

Publié le 3 Avr, 2025

Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) vient de publier un avis n°149 intitulé « Baisse de la natalité et de la fertilité : des réponses différentes, des enjeux éthiques partagés ». Cet avis s’inscrit dans la continuité de la saisine de l’ancien ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention Frédéric Valletoux le 20 juin 2024. Dans le contexte du grand plan lutte contre l’infertilité (cf. Plan national de lutte contre l’infertilité : le début des travaux), le ministre avait demandé au CCNE de rendre un « avis sur les enjeux éthiques de la prise en charge de l’infertilité ». Etonnamment, l’avis rendu ne répond pas exactement à la saisine, et ne prend d’ailleurs pas la forme d’un avis à proprement parler. En effet, le CCNE y émet des « perspectives » et non des recommandations, et semble ne pas réellement prendre position sur des questions éthiques précises.

Une réponse en demi-teinte : natalité ou infertilité, des intérêts difficilement compatibles 

La saisine demandait un avis sur l’infertilité, le CCNE répond en traitant d’abord de la natalité (cf. Contre l’infertilité et une natalité en berne, un « réarmement démographique » ?). L’intitulé de l’avis est trompeur : les réponses aux problèmes d’infertilité et de baisse de natalité divergent, c’est certain. Et leurs enjeux éthiques sont assez difficilement compatibles.

C’est très exactement ce que reflète la première partie de l’avis, qui traite de « la place de l’enfant dans la société actuelle ». La natalité est davantage tournée vers l’enfant et son bien-être, quand l’infertilité suggère des problématiques à régler chez le couple. Le CCNE ne se leurre pas lorsqu’il précise que l’intérêt de l’enfant « n’est pas nécessairement celui de ceux ou celles qui ont conçu ce projet de naissance » (cf. PMA, GPA : Omerta sur le sort de l’enfant). Il y a une opposition frontale entre la prise en charge de l’infertilité en France et les réponses qui découlent des défis concernant la natalité. La première vise à donner « à tout prix » un enfant à un couple qui le désire ; ce n’est pas l’objectif de la seconde qui vise à garantir les meilleures conditions d’accueil d’un enfant pour les couples qui le souhaitent. C’est pourquoi, lier les deux dans un même avis accroît la confusion des enjeux et des solutions à y apporter. Or l’intérêt de l’enfant est supérieur : c’est ce que rappelle le CCNE, en débutant son exposé par ce sujet.

Dans les réponses données aux défis de la natalité, il faudrait donc bien garder à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant la suite de l’avis ne paraît pas prendre en compte cette notion majeure pourtant rappelée dans ses prémices, puisque le CCNE embraie sur un développement sur l’Assistance médicale à la procréation (AMP [1]).

Une baisse de la natalité aux causes multiples…

Le CCNE débute son analyse sur la baisse de la natalité par un exposé factuel des causes de cette baisse. Les raisons culturelles, économiques et sociales du non désir d’enfant se sont multipliées ces dernières années : selon un sondage IFOP, 13% des femmes affirment ne pas vouloir d’enfant contre 2,6% en 2006. Les motifs évoqués sont l’épanouissement personnel (91%), les motifs climatiques et politiques (81%) et des motifs financiers et familiaux (63%). Depuis 2014, la proportion du non-désir d’enfant a doublé. La baisse de la natalité est en partie liée au recul de l’âge de la maternité, qui résulte de l’émancipation des femmes par leur nouveau mode de vie. Mais le CCNE évoque aussi l’IVG, la contraception et l’autoconservation des gamètes comme causes du recul de l’âge de la maternité.

En découle une baisse des naissances flagrante : de 888.000 à 678.000 naissances entre 1973 et 2023. Et en 2024, la baisse se confirme avec seulement 663.000 naissances.

Face à ce constat inquiétant, faut-il voir dans la procréation médicalement assistée, qui est un moyen de prendre en charge l’infertilité, la « solution » qui inverserait la courbe ? Il semblerait que non, puisque la natalité poursuit sa baisse alors que le recours à la PMA a augmenté ces dernières années.

… que ne contrebalance pas l’augmentation des PMA

Dans une interview donnée à Midi Libre le 8 février 2025 [2], le Pr. Samir Hamamah déclarait : « Il suffit qu’on augmente le taux de succès de la PMA pour ralentir la baisse de la natalité ». L’avis du CCNE est plus prudent : la PMA n’aurait qu’un effet « limité » sur la natalité. Si la PMA peut être perçue comme une solution face à des cas d’infertilité, augmenter les budgets pour l’améliorer ne suffira pas à rétablir la croissance démographique (les enfants nés par PMA représentent 3,7% des enfants nés vivants [3]). Elle servira plutôt à satisfaire des désirs individuels. La PMA ne traite ni ne guérit et ne propose pas une solution de long terme.

En outre, la PMA n’est pas sans risque : pour les couples, pour les enfants. Le CCNE mentionne, quoique rapidement, l’existence de ces risques (cf. PMA : un risque nettement plus élevé de malformations cardiaques congénitales ; Deux fois plus de risques de prééclampsie avec la PMA). On peut dès lors s’étonner que le CCNE ne semble proposer que la PMA comme « solution » à l’infertilité. Elle n’est pourtant en aucun cas une mesure d’autonomisation des couples (comme le préconise pourtant le CCNE), puisqu’elle fait dépendre la fertilité d’une multitude de praticiens et de procédures.

Des « perspectives » pour la prochaine loi de bioéthique ?

Après avoir énuméré les causes de la baisse de la natalité et les solutions limitées de l’assistance médicale à la procréation, le CCNE offre des « perspectives ». Un Comité plutôt timide, qui n’ose pas suggérer des « recommandations » et ne rend in fine pas vraiment d’avis éthique. En apparence, du moins. Car derrière la retenue du Comité, quelques pions sont déjà positionnés qui préparent le terrain pour la prochaine réforme bioéthique. La loi précédente est en cours d’évaluation à l’Assemblée nationale (cf. Trois députés pour évaluer la dernière loi de bioéthique).

La promotion de l’autoconservation des gamètes et une possible ouverture aux banques étrangères

Bien que le CCNE ait constaté que l’autoconservation des gamètes (permise par la loi bioéthique de 2021) soit une cause et un symptôme de la baisse de la natalité, le Comité d’éthique n’en tire pas les conséquences adéquates. En effet, le CCNE propose d’élargir l’autoconservation des gamètes « à toutes les femmes et les hommes », à tous les centres publics mais aussi privés. Une mesure qui pèserait au niveau économique puisque ce n’est pas une activité rentable, précise-t-il.

Le CCNE évoque également la possibilité d’ouvrir l’accès aux banques de gamètes étrangères. Or, les banques étrangères ne respectent pas tous les principes du don en France. Dès lors, ouvrir leur accès nécessiterait une modification de la législation française sur le don de gamètes mais aussi sur le don en général. En toute logique, ces modifications élargiraient sans aucun doute le régime de la recherche sur l’embryon : aujourd’hui, les recherches ne peuvent être menées que sur des embryons issus d’AMP dont le projet parental a été abandonné et qui ont été donnés gratuitement à la recherche. A moins de créer un régime d’exception, l’Agence de la Biomédecine (ABM) ne pourrait autoriser la recherche sur des embryons ou des cellules souches issus de laboratoires qui violent les principes français de gratuité du don.

La promotion du DPI ?

Enfin, le CCNE affirme que le rapport sur l’infertilité du Pr. Samir Hamamah et de Salomé Berlioux constitue une base solide de la réflexion sur le sujet de l’infertilité.

Or, les auteurs du rapport préconisent d’améliorer les diagnostics génétiques (dans l’axe 4). En s’y rattachant, le CCNE sous-entend qu’il voudrait aller plus loin que cet avis n°149 qui n’expose que peu de positionnement éthique. Contrairement au sujet de la natalité, le sujet de l’infertilité nécessiterait plus de débats. Par manque de temps et défaut d’alignement d’agenda politique, le CCNE semble s’être astreint à traiter de la natalité, alors qu’il souhaitait rendre un avis ferme sur les techniques de PMA.

Vers l’autorisation de la PMA post-mortem et de la ROPA ?

Sans donner d’avis tranché, le CCNE achève son avis par une annexe sur deux points spécifiques de la saisine : la PMA post-mortem et la ROPA (réception d’ovocytes de la partenaire). Le Comité d’éthique y précise que les professionnels de santé et les associations de patients y seraient favorables.

En reportant sa réponse à la prochaine réforme bioéthique, le CCNE s’interroge malgré tout : puisque l’on autorise, par la PMA pour femme non mariée, de faire naître un enfant orphelin, pourquoi l’interdirait-on par la PMA post-mortem ? De la même manière, puisque la PMA pour couple de femmes permet la filiation avec deux mères, pourquoi interdirait-on la ROPA qui aboutit à une filiation identique ?

Il ne sera pas nécessaire d’attendre trop longtemps la réponse : les Etats généraux de la bioéthique qui précèderont les prochaines lois bioéthiques – et qui pourraient débuter vraisemblablement dès 2026 – seront pour le Comité d’éthique l’occasion d’affirmer ses positions. PMA post-mortem, ROPA, mais aussi GPA, DPI-A [4], destruction automatique des gamètes autoconservés et des embryons congelés après la limite d’âge… toutes les « évolutions technologiques » seront-elles validées ? On peut le craindre. Les erreurs d’hier guideront-elles celles de demain ? Et cet avis n°149 en demi-teinte ne serait-il qu’une caution pour mieux investir dans un deuxième temps le sujet de la PMA sans se soucier de la baisse de la natalité ?

 

[1] Aussi appelée Procréation médicalement assistée (PMA)

[2] Midi Libre, Chute de la natalité : “La France meurt à petit feu”, s’inquiète Samir Hamamah, auteur d’un rapport national sur l’infertilité, Sophie Guiraud (08/02/2025)

[3] V. Rapport médical et scientifique de l’ABM 2023 pour l’année 2022 – principaux chiffres de l’activité d’AMP – enfants issus d’une AMP : https://rams.agence-biomedecine.fr/principaux-chiffres-de-lactivite

[4] Diagnostic préimplantatoire pour les aneuploïdies

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