Avortement eugénique en Pologne : la CEDH déclare les plaintes irrecevables

Publié le 9 Juin, 2023

En 2021, des femmes polonaises avaient demandé à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de se positionner sur l’interdiction de l’avortement eugénique dans leur pays. Ce jeudi 8 juin, la Cour européenne a rejeté ces huit requêtes, sans se positionner sur le fond.

Une réaction militante à l’interdiction de l’avortement eugénique par la Cour constitutionnelle polonaise

A deux reprises [1] un groupe de parlementaires avait demandé à la Cour constitutionnelle polonaise, la plus haute juridiction de l’Etat, de déclarer inconstitutionnel l’avortement pour cause d’anomalie du fœtus [2]. Autrement dit, l’avortement eugénique.

Le 22 octobre 2020, la Cour constitutionnelle a répondu favorablement à cette demande en déclarant l’avortement eugénique contraire à la Constitution polonaise (cf. Pologne : l’avortement eugénique n’est pas conforme à la constitution). Cette décision a pris effet à compter du 27 janvier 2021.

Suite à cette modification législative, des manifestations de rue ont éclaté dans le pays, menées notamment par le mouvement All-Poland Women’s Strike, un mouvement féministe polonais. Le mouvement en faveur de l’avortement ne s’est pas arrêté là. L’ONG féministe FEDERA (Fédération pour les femmes et le planning familial) a mis en ligne un formulaire prérempli pour déposer des requêtes contre cette décision devant la Cour européenne des droits de l’homme. S’en sont suivi 8 requêtes déposées par des femmes polonaises dont la situation personnelle n’était pas affectée directement par l’interdiction de l’avortement eugénique :

  • Deux requérantes soulignaient qu’elles avaient des complications médicales qui les exposaient à un risque plus élevé d’anomalie pour leur fœtus si elles tombaient enceintes ;
  • Deux d’entre elles étaient effectivement enceintes au jour du dépôt de la requête et craignaient de potentielles anomalies du fœtus ;
  • Les autres envisageaient une grossesse et étaient prises d’angoisse à l’idée qu’elles seraient forcées de poursuivre la grossesse si jamais le fœtus était handicapé ; une femme affirmait avoir dû arrêter d’essayer d’avoir un enfant, à cause de l’angoisse que cette modification législative entraînait pour elle, craignant de ne pas recevoir les soins médicaux adéquats si elle avait des complications pour sa propre santé si le fœtus était handicapé.

Toutes ces femmes invoquaient l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : la modification législative violerait leur droit au respect à la vie privée et familiale, parce qu’étant en âge de procréer, elles étaient victimes potentielles de cette modification et seraient forcées un jour de mener à terme une grossesse si le fœtus était handicapé.

De nombreuses organisations sont intervenues devant la Cour européenne des droits de l’homme, notamment la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe [3], des experts de l’ONU [4], et des ONG.

Une décision de la CEDH honnête intellectuellement

A ces requêtes organisées par des lobbies militants, la Cour répond tout d’abord que le risque d’une violation future ne confère aux requérantes une qualité de victime que de manière exceptionnelle, et à condition de rapporter des preuves convaincantes et raisonnables du risque que la violation l’affecte personnellement. « De simples soupçons ou une simple conjoncture ne suffisent pas » précise la Cour.

Or, dans les présentes affaires, les requérantes n’apportent aucune preuve convaincante du risque réel d’être directement lésées par la décision de la Cour constitutionnelle du 22 octobre 2020. Rien ne prouve qu’elles soient confrontées directement à des difficultés en raison de l’interdiction de l’avortement eugénique.

Par ailleurs, l’argument selon lequel elles seraient angoissées de ne pas recevoir les soins adéquats pour leur santé lors d’une potentielle future grossesse avec anomalie du fœtus est écarté par la CEDH. En effet, la Cour rappelle que la Pologne autorise toujours l’avortement en cas de danger pour la vie ou la santé de la mère. La décision de la Cour constitutionnelle de 2020 n’a pas remis ce point en question.

Ainsi, la CEDH conclut que les modifications apportées par la décision constitutionnelle du 22 octobre 2020 n’ont pour ces femmes requérantes que des « conséquences très hypothétiques, trop lointaines et trop abstraites » pour qu’elles puissent être considérées comme « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Leurs requêtes ne peuvent donc pas être recevables.

La Cour européenne des droits de l’homme a ici joué son rôle d’autorité objective et non idéologique, en examinant précisément la situation personnelle des requérantes. Elle a statué sur un point de vue purement juridique, et c’est heureux de la part d’une Cour dont certains dénoncent parfois la partialité. Néanmoins, elle ne s’est pas positionnée sur le fond : l’avortement eugénique peut-il être interdit en Europe ? Une question qui reste toujours en suspens mais qui sera certainement résolue prochainement lors d’une affaire actuellement pendante devant la Cour [5].

 

[1] Les 22 juin 2017 et 19 novembre 2019

[2] articles 4a-1 et 4a-2 de l’Acte de planification familiale de 1993

[3] Il conclut que la Pologne devait s’aligner sur les autres législations pour assurer « l’accès à l’avortement sûr » à toutes les femmes.

[4] Ils concluent qu’il existe un « consensus international clair » sur le fait que les Etats doivent prévoir l’avortement de manière large et y compris pour anomalie du fœtus.

[5] M.L. c/ Pologne

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