Aux cours des journées de l’ABM, greffes de mains, greffes d’utérus : un état des lieux

Publié le 6 Juin, 2017

Construites autour du thème de l’innovation, les 5e journées de l’Agence de biomédecine ont fait le point sur des greffes controversées.

 

Au cours des 5ème Journées de l’Agence de la biomédecine, une intervention était consacrée aux allogreffes[1] innovantes : greffes de mains, greffes d’utérus, greffes de cornées… Elles ont en commun de n”être pas vitales, elles ne sauvent pas la vie de la personne mais risquent de fragiliser sa santé. Comme telles, elles ne sont pas sans poser un certain nombre de questions éthiques.

 

Des mains pour ceux qui n’en ont pas ?

 

Depuis 17 ans, le professeur Lionel Badet réalise à Lyon des greffes de mains. En 17 ans, il en a réalisé sept. A ce jour, 26 centres ayant des activités de transplantations pour les mains sont répartis dans 16 pays différents. Sur 17 années d’activité, ce sont 60 receveurs qui ont été transplantés, soit 25 greffes simples et 35 bilatérales. Trois patients sont décédés. L’opération reste exceptionnelle. Elle n’échappe pas aux risques de rejets qui existent lors de toutes greffes, mais elle est très sensible pour ces opérations car la peau est particulièrement immunogène. La première année, les épisodes de rejet peuvent aller jusqu’à 75% contre 20% chez des patients rénaux du même âge, et tous les patients qui ont arrêté les traitements immunosuppresseurs ont perdu leur greffe. C’est le cas pour 10 d’entre eux. Si les phénomènes de rejet peuvent intervenir dès la greffe effectuée, le rejet chronique n’apparait que dans le temps, mais il existe bien, comme pour toute greffe.

 

Compte tenu de l’investissement que représente cette opération pour le patient, la France ne pratique que les greffes bilatérales. Et avant la greffe, les équipes médicales sont extrêmement attentives au taux de compliance : cette capacité du patient à se conformer aux prescriptions médicales. La compliance fait l’objet d’une évaluation psychologique de chaque candidat.

Cette greffe est aussi sensible parce qu’elle exige beaucoup d’énergie de la part de patients qui doivent s’approprier les mains qui leurs sont greffées : il faut 3 ans de rééducation pour récupérer les gestes de la vie courante, et les patients ne recouvrent pas la force de leurs membres disparus.

 

Le professeur Badet note que 200 patients font des demandes de prothèses de main chaque année et les biamputés concernent 10% de ces patients. Ce sont ces patients qui seraient susceptibles de bénéficier d’une greffe.

 

Communément, ces greffes sont justifiées parce qu’elles doivent permettre au patient de retrouver une autonomie perdue et une vie sociale qui peut lui faire défaut. Mais face à l’exclusion sociale qui touche ces patients, la greffe est-elle la seule alternative ?

 

Les greffes d’utérus : éthiquement discutables même dans le milieu médial

 

Le Docteur Tristan Gauthier a, à son tour, évoqué les greffes d’utérus, la seule greffe éphémère. Mal admise dans les hôpitaux, le professeur la justifie, arguant que pour certaines femmes, « la GPA étant interdite, c’est la seule alternative à l’adoption ».

 

Les demandes proviennent à 70% de femmes qui n’ont pas d’utérus, mais ces greffes concernent également des femmes dont l’utérus n’est pas fonctionnel. Deux transsexuelles ont aussi fait une demande qui a été « bien évidemment » rejetée.

 

Le succès de la greffe en ce domaine se mesure à la naissance ou non d’un enfant, elle ne s’évalue donc qu’après la venue d’un nouveau-né. A ce jour, deux essais cliniques ont fait l’objet d’une publication : en Suède et aux Etats-Unis à Dallas. Dans le monde, 20 transplantations utérines[2] ont été effectuées qui ont donné lieu à 5 naissances vivantes, soit un taux de succès de 25%. D’autres enfants sont attendus dans les prochains mois. Pour l’instant, seule l’équipe suédoise a pu mener des grossesses à terme. Toutes les naissances ont été obtenues à partir d’utérus provenant de donneuses vivantes. Aucun bébé n’est né de la transplantation d’organes de donneuses décédées.

 

En France, l’équipe du CHU de Limoges a lancé un essai clinique en février 2016 avec en projet 8 opérations à partir d’organes de donneuses décédées. Cinq patientes sont en cours de préparation. Pour trois d’entre elles, 10 embryons ont déjà été congelés ; elles sont en attente d’un utérus depuis avril.  Une première transplantation pourrait avoir lieu cette année. Même sur donneuses décédées, le prélèvement peut poser problème : comme il s’agit d’un organe non vital, il est toujours prélevé en fin de procédure et de préférence sur des femmes jeunes chez qui de nombreux organes vont être prélevés. Après le temps de transport, le temps d’ischémie froide[3] escompté est de moins de 8 heures. Au-delà de 12 heures, il n’est plus possible de transplanter cet organe, qui pourrait avoir subi des altérations.

 

Au Royaume Uni, les transplantations utérines sont autorisées, mais les fonds n’ont pas été débloqués et aucun essai n’est en cours.

 

La greffe d’utérus suppose une procédure lourde, encore une fois pour une greffe non vitale qui peut affecter la santé de la donneuse vivante comme celle de la receveuse. Il a fallu entre 10 et 13 heures pour l’équipe suédoise et 8 à 9 heures pour l’équipe de Dallas pour prélever l’organe sur la donneuse vivante. De fait, l’utérus est très vascularisé et le prélèvement est difficile. Des conséquences, en l’état considérées comme mineures par les équipes, ont été constatées sur une donneuse – une descente d’organes.

 

Pour la receveuse, ce sont 12 heures d’opération pour les suédoises, tandis qu’il fallait compter 5 à 6 heures d’opération pour les américaines. L’équipe américaine a échoué lors des trois premières greffes : les utérus prélevés ont nécrosé. Ces échecs soulignent la nécessité d’un apprentissage de la chirurgie.

 

Comme pour toutes les greffes, les receveuses sont soumises à un traitement immunosuppresseur que les médecins estiment sans danger pour la santé de l’enfant, pourtant les précautions pharmacologiques durant la grossesse sont habituellement extrêmement strictes. En Suède, les femmes ont demandé à ce qu’on leur retire le greffon après la première naissance : les traitements immunosuppresseurs sont sans aucun doute en cause, mais la perspective de vivre avec l’utérus d’une autre est-elle si simple à accepter ?

 

Par ailleurs, le Docteur Tristan Gauthier a lui-même souligné que ce projet se heurtait à une barrière éthique et qu’il ne faisait pas l’objet de consensus au sein des équipes.

 

Enfin, comme pour la PMA ou la GPA, les greffes d’utérus consacrent un droit à l’enfant qui cherche une légitimité qu’il n’est pas possible de lui accorder. Et avec des techniques de procréation de plus en plus accessibles et répandues, l’infertilité est d’autant plus douloureuse qu’elle devient socialement inacceptable.

 

Greffes de cornées, de l’ancien et du nouveau…

 

Si ces greffes sont anciennes, les techniques ont évolué qui permettent désormais des greffes partielles avec une récupération visuelle beaucoup plus rapide et des risques de rejet réduits. Elles sont cependant plus difficiles à réaliser et demandent une grande habileté de la part des chirurgiens. La greffe de cornée est la plus pratiquée : près de 5 000 patients français ont reçu une telle greffe en 2015.

 

Dans un tout autre domaine, le Professeur Martin Bichall de l’UCL and Royal national throat Nose and Ear Hospital de Londres, a présenté les travaux innovants visant à utiliser des produits issus de l’ingénierie tissulaire avec en perspective des remplacement de peau, d’articulation, de vessie partielle et de cornée réalisés en 2D, qui doivent ensuite ouvrir à l’introduction de tissus 3D et aux remplacements d’organes. Des essais cliniques de phase I et II (sécurité et efficacité potentielle) sont en cours : des travaux à base de cellules souches et de bioengineering pour reconstruire des tissus et structures des voies aériennes. Mais de nombreux défis restent à surmonter.

 

Dans le domaine de la greffe, la science est à la recherche des sources « inépuisables » d’organes et l’ingénierie tissulaire est une des pistes possible, peut être un espoir pour des patients en attente. Mais à ce jour, les essais ne permettent pas encore d’imaginer que ces organes seront bientôt disponibles.

 

[1] Greffe pratiquée entre deux individus appartenant à la même espèce animale, mais génétiquement différente.

[2] Suède, Chine, Brésil, Etats-Unis, République tchèque, Turquie, Arabie Saoudite…)

[3] Le temps d’ischémie froide (hypothermie) est le temps de conservation de l”organe du prélèvement jusqu’à la transplantation.

 

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