Autoconservation des ovocytes, « la désillusion sera souvent au rendez-vous »

Publié le 29 Jan, 2019

Interrogée sur LCP le 16 janvier dernier, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a affirmé au sujet de la baisse de la natalité que l’autoconservation des ovocytes pourrait être un « remède » : « La question de l’autoconservation des ovocytes pour les femmes est très impactante : elle peut faciliter l’accès à la maternité, à la fertilité pour les femmes après l’âge de 37/38 ans » et permettrait « aux femmes de faire plus d’enfants ». Gènéthique a interrogé Jacques Testart, biologiste, qui revient sur cette question.

 

Gènéthique : Agnès Buzyn, ministre de la santé, estime que l’autoconservation des ovocytes pourrait relancer la natalité. Pensez-vous que ce soit une pratique à généraliser ? Pourquoi ? 

Jacques Testart : Il est vraisemblable que la plupart de ces ovocytes ne deviendront jamais des enfants. Parce que nombre de ces femmes se passeront de l’AMP pour procréer ou choisiront finalement de ne pas procréer. Parce que l’efficacité de cette technologie est toute relative et que celles qui ne disposeront pas d’un nombre élevé d’ovocytes congelés auront bien peu de chances de procréer ainsi. C’est dire que la désillusion sera souvent au rendez-vous. Cela arrive aussi dans le parcours de FIV immédiate mais, avec la conservation des ovocytes, il s’agit d’un pari avec effet largement différé pouvant amener à une douloureuse remise en cause des illusions, trop tardive pour permettre la possibilité de “remettre ça”. Par ailleurs, les verdicts prétendument savants sur l’importance de la population ovarienne pour justifier ou déconseiller la mise en réserve d’ovocytes sont très imprécis et peu prédictifs. La tendance sécuritaire risque alors d’ouvrir cette pratique à toutes les femmes.

 

G : Quel rôle pour la médecine dans l’utilisation croissante de ces pratiques ?

JT : C’est un nouveau champ (un nouveau marché) qui s’ouvre, en s’installant comme d’habitude sur les angoisses individuelles. Il n’est plus indispensable de se rendre à l’étranger pour bénéficier d’une congélation d’ovocytes de convenance, pourtant interdite en France. Un gynécologue parisien explique doctement comment, en complicité avec un radiologue, il décèle systématiquement une endométriose chez les jeunes femmes qui accourent à sa consultation à 200 euros[1]. Ainsi, le dossier obligatoirement fourni à l’Agence de la biomédecine (ABM) est en règle. Madame Buzyn serait mieux inspirée en demandant à l’ABM de vérifier ces pratiques. La mise en réserve de ses gamètes institue une nouvelle façon d’être “normal” qui se substitue à l’ancienne et se fait donc passer pour progressiste. Cela coûtera à tout le monde sans être certain que cela profitera à beaucoup de “patientes” (le terme prend toute sa saveur quand l’attente de satisfaction s’étend sur de nombreuses années). Par ailleurs, cette pratique contribue à la mode d”indifférenciation des genres puisque le masculin demeure fertile tardivement.

 

G : Certains estiment qu’ayant aidé les femmes à ne pas être fécondes quand elles étaient fertiles, il faudrait les aider à être fécondes quand elles ne sont plus fertiles. Avec quels risques ?

JT : La contraception ou l’IVG sont des mesures non probabilistes (leur effet est immédiat et incontestable) et révisables (on peut changer de pratique). Au contraire, la conservation des ovocytes est un pari sur l’avenir qui, pour les plus lucides, devrait être anxiogène. Si la contraception permet aux femmes de vivre le temps présent, la conservation de leurs gamètes les amène à l’hypothéquer. L’idée d’assimiler l’aide à la procréation à l’aide de la non procréation compare des difficultés ou des détresses actuelles, concrètes, avec le besoin d’une assurance sur l’avenir, sans nécessité impérieuse (sauf pour les cas avérés de ménopause précoce ou de risques de stérilisation à l’issue de certains traitements médicaux). Cette assimilation signale la volonté illusoire de maîtriser toutes les situations plutôt que d’apporter une aide dans des situations réelles. L’excès de précaution devient l’occasion de développements médicaux et industriels ininterrompus comme quand il mène de nombreuses femmes états-uniennes à demander l’ablation de leurs seins par crainte de cancer. Et ceci, ironie de la technomédecine, arrive au moment où le principe de précaution est mis à mal dans le champ de l’innovation. L’excès de précaution individuelle ne peut pas conduire à la sérénité qui est une condition de la vie en bonne santé. Au bout du chemin des artifices pour tout refuser de la condition humaine se trouve le transhumanisme.



[1] Laure Noualhat, Lettre ouverte à celles qui n’ont pas (encore) d’enfant, Plon, 2018, p 1031.

 

Jacques Testart

Jacques Testart

Expert

Jacques Testart est biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Il est le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982. Il développe une réflexion critique sur les avancées incontrôlées de la science et de la technique dans ses nombreux écrits, dont L’œuf transparent, Flammarion, 1986 et Au Péril de l’humain, Seuil, 2018.

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