Audition des ministres sur la loi de bioéthique : un ton apaisé, des dérives éthiques majeures

Publié le 10 Sep, 2019

Hier, les ministres Mmes Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, et Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, ont été auditionnées par la commission spéciale bioéthique.

 

Les trois ministres ont opté pour une présentation du projet de loi qui se voulait  rassurante. Mme Buzyn semble chercher à canaliser les déçus en demandant de ne pas « faire du moins disant éthique la nouvelle référence » et à convaincre les sceptiques en assurant que « les 30 articles du projet de loi présentent un cadre […] qui accorde de nouveaux droits et s’adapte aux nouvelles évolutions de la science ». Mme Belloubet présente avantageusement le nouveau « mode de filiation sur la base de la volonté », qui découle de l’extension de la « PMA pour toutes », comme ce qui va conduire « à faire de la PMA quelque chose de plus courant et de plus accepté ». Elle expose ensuite les légères modifications du projet de loi initial apportées en réponse aux insatisfactions des associations homosexuelles, déçues par la 1ère version du texte. Enfin, Mme Vidal note les nombreux amendements déposés en commission relatifs à la recherche sur l’embryon qui annoncent un débat nourri sur le sujet. Elle se veut rassurante en appuyant son propos sur les lignes rouges auxquelles le gouvernement est attaché : interdit de création d’embryon pour la recherche et interdit de générer des chimères homme-animal.      

 

  • Aménagements à la marge pour l’établissement de la filiation de « deux mères »

Le gouvernement s’est plié aux dernières revendications des associations homosexuelles qui se disaient insatisfaites du nouveau mode de filiation instauré par le projet de loi qu’il trouvait discriminant. Il a répondu à leurs demandes en aménageant techniquement l’acte d’établissement de la filiation : il ne s’agira plus d’une « déclaration anticipée de volonté à présenter à l’officier d’état civil à la naissance de l’enfant » qui mentionnera les deux mères et le mode de conception de l’enfant, mais d’une « reconnaissance anticipée faite devant notaire » ab initio, dans lequel les deux mères seront mentionnés et sans mention du mode de conception. L’objectif est de mieux coller au droit commun et de « banaliser ce nouveau mode de filiation ». Si cela change en termes administratifs, le principe reste le même : « Nous construisons une filiation de toutes pièces sur le plan juridique […] basée sur la volonté de deux personnes là où la ressemblance biologique ne s’exerce pas ». Ainsi, le gouvernement persiste et signe : « Deux femmes seront toutes les deux mères, c’est une révolution dans le régime de la filiation ». Une fois encore les ministres cherchent à se montrer fermes en évoquant une limite de ci de là pour tenter de mieux faire accepter la dénaturation de la filiation. La PMA pour les transsexuelles et l’autoconservation de leur gamètes est aussi possible sauf si la femme devenue homme est en couple avec un homme. Ou encore, la PMA pour tout le monde sauf pour les femmes veuves : « Autoriser la PMA post mortem risque de créer des pressions familiales sur les femmes » explique avec candeur Agnès Buzyn. Quand les repères sont balayés, le jeu de dupes est aisé.     

 

  • Mise en avant peu convaincante de quelques digues de papier censées protéger l’embryon

De son côté, la ministre de la recherche présente partiellement les enjeux du projet de loi relatif à la recherche sur l’embryon. Elle aussi fait le choix de ne pas insister sur les modifications apportées pour ne pas agiter de chiffon rouge. Puisque le « débat serein et constructif » est un leitmotiv, répété tel un mantra, elle mentionne ce qui fait consensus et élude les évolutions problématiques. Ainsi, Mme Vidal expose des garanties pour maintenir un cadre à la recherche sur l’embryon. Interdire de créer des embryons aux fins de recherche, interdire les chimères par adjonction de cellules animales dans l’embryon humain, interdire de dépasser la durée de conservation in vitro des embryons à 14 jours avant le début de l’organogenèse, interdire la modification du génome transmissible à la descendance. Pour un peu on croirait un projet de loi éthique. Mais faut-il rappeler que l’interdiction de créer des embryons pour la recherche ou de modification du génome de la descendance n’est pas une décision résultant d’un choix politique du gouvernement ? C’est une obligation qui s’impose aux responsables politiques de la France signataire de la convention d’Oviedo. Faut-il préciser que les cellules souches embryonnaires, qui sont l’être même de l’embryon humain aux premiers stades de son développement, vont être livrées à des chercheurs, désormais sur simple déclaration ? Qui peut croire que l’expérimentation de CRISpR cas-9 sur l’embryon humain dont parle Mme Vidal, ne va pas à moyen terme, conduire à faire naître des bébés génétiquement modifiés ? Qui ne s’inquiète pas à entendre la ministre satisfaite d’envisager  l’utilisation des gamètes créés artificiellement à partir de cellules iPS pour la recherche en procréation médicalement assistée ? N’est-ce pas de la création d’embryon pour la recherche ? Si le gouvernement n’autorise pas la conservation des embryons in vitro à plus de 14 jours c’est simplement parce qu’aujourd’hui personne ne sait les garder intacts au-delà. Les cellules iPS (dont les qualités utiles pour des applications concrètes sont équivalentes à celles des cellules souches embryonnaires), ne sont pas en reste. Après une esquisse de présentation presque élogieuse, la ministre se reprend, suite à l’intervention d’un député, pour finalement insister sur la nécessité du gold standard des cellules souches embryonnaires humaines, alors que le débat scientifique n’est plus celui-là depuis des années. Et comme si le Japon, pays leader dans le domaine, utilisait cette référence… Cette présentation édulcorée est donc bien loin  de présenter les enjeux véritables et la réalité des choix politiques qui ont été faits, au service des chercheurs pro-embryonnaires.

 

  • Intervention inattendue d’Agnès Buzyn contre l’extension du DPI  à la trisomie 21

Enfin, suite à  l’interpellation de plusieurs députés, la ministre de la santé a précisé la position du gouvernement sur l’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI) aux aneuploïdies (anomalies du nombre de chromosomes, par exemple la trisomie 21) ou d’autres maladies génétiques. Elle prend le temps d’expliquer le refus de modifier le champ du DPI. Cette prise de position est inattendue au regard des pressions exercées par les industriels de la médecine génomique. Il sera intéressant de vérifier la discipline de la majorité parlementaire dans les jours à venir. Mme Buzyn déploie une argumentation en plusieurs points : scientifiquement, il n’est pas prouvé que la mise à l’écart des embryons avec aneuploïdies diminue le taux de fausses-couches des AMP. Par ailleurs, « Il ne faut pas faire croire aux parents qu’on va tout régler avec ces tests ». Concrètement : « quelles seraient les maladies à rechercher ? Qui décide ? La décision de détecter une maladie génétique peut être très variable ». Enfin, éthiquement : « c’est une dérive eugénique claire […] l’analyse génétique des embryons aboutira à une société qui n’aura pas décidé d’être eugéniste […][mais]tout le monde voudra demander un enfant sain. […] Les couples qui procréent naturellement pourraient donc s’en trouver désavantagés, et pourraient alors être amenés à demander une PMA. […] Personne ne voudra implanter un enfant atteint de trisomie 21, nous glisserons donc vers le tri d’embryons ». Avant de conclure : « c’est horrible une société eugéniste […] c’est une dérive qu’on ne verra pas venir ».  Les députés qui ont déposé de nombreux amendements sur le sujet seront-ils touchés par cet argumentaire ? A suivre cette semaine.

 

Les débats commencent cet après-midi à 16h en commission. Les députés vont débattre autour de 2000 amendements jusqu’à vendredi. Suivez @Genethique pour vous tenir informés de l’évolution du projet de loi.

 

 

Pour aller plus loin :

Bioéthique : Des avortements pour des enfants porteurs de pathologies d’une extrême gravité ?

Audition de la Commission spéciale bioéthique : l’embryon humain en danger

Bioéthique : pourquoi la commission spéciale mène-t-elle des auditions ?

Audition à l’Assemblée nationale sur la PMA pour toutes : vers une filiation basée sur la seule volonté  Auditions à l’Assemblée nationale, un Conseil de l’ordre des médecins atone

A l’Assemblée nationale, les représentants de l’industrie procréatique enfoncent le clou

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