Arrêt de la Cour de cassation : l’interdiction de la GPA posée par le Code civil « n’existe plus »

Publié le 27 Nov, 2024

Avant la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 novembre dernier (cf. GPA à l’étranger sans aucun lien biologique : la Cour de cassation admet le lien de filiation), « l’interdiction posée par le Code civil [1] de la GPA était effective, avec, comme pour toute norme juridique, une part d’inapplication, de violation et de pratiques contraires ». Mais depuis, elle « n’existe plus », analyse le professeur de Droit Marie-Anne Frison-Roche dans un entretien.

Une « pure convention de GPA »

Jusqu’alors « le droit français refus[ait] qu’il puisse y avoir une filiation établie par pur contrat, sans lien biologique, ou une adoption dans laquelle des adultes pourraient choisir l’enfant [2] ».

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2024, l’adulte ayant un « projet parental » n’avait aucun lien biologique avec l’enfant. Or, « en l’état du droit français, il n’était donc pas possible de donner effet à cette GPA réalisée à l’étranger, même si, dans le pays où elle a été réalisée, elle était considérée comme licite », pointe le professeur.

L’arrêt de la Cour de cassation a renversé cela, puisqu’il a admis en droit français « l’efficacité de ce que l’on peut appeler une “pure convention de GPA”, uniquement basée sur la volonté des uns et le consentement des autres ».

Un arrêt à la portée « considérable »

La requérante est passée par le droit commun du droit international privé. Après avoir obtenu un jugement canadien établissant un lien de filiation, elle a demandé l’exequatur [3] de ce jugement étranger. Ce qu’elle a obtenu en dépit de la « fraude » « évidente ».

Pour Marie-Anne Frison-Roche, la portée de l’arrêt de la Cour de cassation est « considérable ». Ce qui est surprenant pour un arrêt rendu par une section de la Première chambre civile. « Il conviendrait que cela résulte d’un arrêt rendu par l’Assemblée plénière », pointe le professeur.

« Si l’Assemblée plénière ne venait pas contredire cette affirmation, Il suffirait donc, si on a un “projet parental” de trouver le pays dans lequel existent des juridictions qui établissent ce lien de filiation à partir de ce type de convention ». Or « ce sont les mêmes dans lesquels la pratique massive des mères-porteuses est admise ».

Interroger le consentement ?

« C’est la première fois qu’une décision pose qu’une filiation basée sur la seule volonté (de ceux qui ont un projet parental) et le seul consentement (de ceux qui donnent le “matériel génétique” et de celle qui porte l’enfant désiré) suffit à faire naître une filiation », souligne Marie-Anne Frison-Roche.

« Il est étonnant qu’à une époque où l’on se soucie à juste titre des violences faites aux femmes et où l’on comprend que le “consentement” n’est le plus souvent qu’une soumission à beaucoup plus fort que soi – ici les agences procréatrices –, l’on ne croit plus au “consentement” donné par les femmes dans les cas qui nous sont proches et l’on croit au “consentement” des porteuses », relève-t-elle. Et « placer l’analyse sur le terrain des consentements, des volontés et du contrat, c’est opérer un second bouleversement : celui du droit de la filiation. En effet, la filiation ne doit pas pouvoir naître d’un contrat. La filiation est une institution. » (cf. Audition à l’Assemblée nationale sur la PMA pour toutes : vers une filiation basée sur la seule volonté)

Masquer des adoptions par des contrats de GPA ?

« Lors de la journée sur le Droit international privé, qui s’est tenue à la Cour de cassation le 18 novembre 2024, le rapporteur a exprimé la crainte que l’on déguise en fraude des adoptions en GPA », indique le professeur de droit. « Cela signifierait que la GPA est devenue si facile, un mécanisme juridique si facile à monter, avec un contrat, des consentements par des signatures apposées, un jugement validant la convention et une exequatur accordée, que le risque serait donc que plutôt que subir encore les contraintes de l’adoption internationale, la “fraude” consisterait aujourd’hui à adopter un enfant, à faire une fausse convention de GPA, à faire signer une fausse mère-porteuse, à obtenir le jugement et l’exequatur », analyse-t-elle (cf. GPA, adoption : des blessures similaires, des pratiques comparables ?).

Car « la filiation basée sur le seul contrat est devenue le 14 novembre 2024 le moyen le plus simple et le plus efficace d’avoir des enfants ».

Face à ce constat, Marie-Anne Frison-Roche interpelle : « Le droit et le souci de protéger les femmes et les enfants requièrent absolument que la solution et la motivation de cet arrêt soient reconsidérées ».

 

[1] L’article 16-7 dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

[2] Hormis le cas où il s’agit d’adopter l’enfant lié biologiquement à son conjoint

[3] procédure permettant de rendre exécutoire en France une décision de justice étrangère

Source : Actu juridique, Olivia Dufour (26/11/2024)

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