Il est 19h ce vendredi 23 mai quand les députés abordent l’épineux sujet de la clause de conscience. Il s’agit notamment de défendre celle des pharmaciens, déjà évoquée à l’occasion de la discussion de l’article 8. En vain (cf. « Une loi se voulant de liberté pour tous doit aussi l’être pour les pharmaciens »).
Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République) reconnait : « Cette clause est un équilibre fondamental ». Un « équilibre » que le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) n’est manifestement pas prêt à revoir : les uns après les autres, les amendements sont rejetés.
Pas de protection pour les pharmaciens, ni pour les internes
La clause de conscience des pharmaciens est à nouveau rejetée au prétexte que leur contribution à l’acte serait indirecte, une possibilité de clause généralisée l’est également (amendement 2587 de Philippe Juvin (Droite Républicaine)).
Le député qui est aussi médecin tente ensuite de protéger les internes. « Il serait totalement anormal […] que les médecins aient une clause de conscience et pas les internes », fait valoir Philippe Juvin, d’autant plus qu’ils pratiquent des sédations profondes. « Les étudiants en médecine, les internes et les externes, ont une clause pour l’IVG. Il faut la même chose pour l’aide à mourir » affirme-t-il, reprenant à son compte le parallèle avec l’avortement maintes fois invoqué au cours des débats.
L’élu réclame aussi que les personnels non médicaux soient protégés. Il obtiendra seulement une vague promesse pour les étudiants en médecine : « A ce jour, leur statut fait qu’ils n’ont pas de clause de conscience, et ils ne sont pas censés participer à l’aide à mourir, précise la ministre de la Santé Catherine Vautrin. Mais je souhaite qu’on puisse travailler cette question pendant la navette. »
Tous les amendements sont rejetés.
L’obligation de référer à un collègue
Vincent Trébuchet (UDR) tente ensuite de faire supprimer l’obligation pour un médecin objecteur de réorienter le patient vers un professionnel de santé qui accèdera à sa demande. Car ce faisant, il coopère à sa démarche, ce qui sera « moralement insoutenable ».
La ministre s’y oppose : la réorientation doit être obligatoire au nom de la « continuité de la prise en charge », comme pour l’IVG.
Pas de clause pour les établissements
Jean-Didier Berger (Droite Républicaine) propose d’instaurer une clause de conscience au niveau des établissements. En effet, certains sont « des collectifs humains qui portent un projet collectif incompatible avec l’aide à mourir ».
Olivier Falorni y est « très défavorable », arguant qu’il faut garantir l’effectivité de la loi et l’égalité entre les usagers. Et Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) s’enflamme : « Le chef d’établissement opposé à l’aide à mourir refusera d’embaucher du personnel qui le pratique ! C’est d’un niveau de réactionnaire totalement inacceptable ! C’est de la discrimination à l’embauche sur une base idéologique ! », tance-t-elle sous les applaudissements de ses collègues.
« Les médecins en soins palliatifs sont en grande majorité hostile à l’aide à mourir, il faut les entendre », enjoint au contraire Patrick Hetzel (Droite Républicaine). Thibault Bazin (Droite Républicaine) évoque lui des « entreprises de convictions » où « la logique de non-abandon de la personne emporte toute l’équipe, ce n’est pas une logique individuelle ». Leurs arguments ne porteront pas.
Danielle Simonnet n’obtiendra pas non plus gain de cause en réclamant un délai de 48h pour faire valoir une clause de conscience. Finalement tous les amendements à l’article seront rejetés hormis deux amendements rédactionnels du rapporteur Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés).
L’article 14 est adopté par 126 voix contre 10.
Le contrôle, un « faux semblant » supplémentaire
Les députés examinent ensuite l’article 15 qui entend définir le contrôle et l’évaluation de la procédure. « Vous conviendrez que, pour un acte irréversible, un contrôle a posteriori a des conséquences individuelles assez limitées », souligne Philippe Juvin.
Le rapporteur général s’agace. Il affirme que l’article 6 implique un contrôle a priori, par la collégialité de la procédure, avec des professionnels de santé qualifiés, insiste-t-il, aptes à s’assurer du respect des critères. Mais il ne convainc pas : « Ce que vous appelez contrôle a priori, c’est la procédure, mais qui contrôle le professionnel de santé, à part lui-même ? », interroge Thibault Bazin (Droite Républicaine) Une procédure sans témoin, potentiellement en 4 jours, sans trace écrite… « Le contrôle est externe, ou ce n’est pas un contrôle ! », s’exclame le député. Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates) abonde : « il n’y a pas de contrôle a priori » mais un « auto-contrôle » du médecin.
Thibault Bazin dénonce un « faux semblant » supplémentaire : après celui du collège, celui du recours, voici celui du contrôle. Pour le député, il ne s’agit que de rassurer par des mots choisis et une communication excellente.
Philippe Juvin pointe en outre que la procédure ne s’interrompt pas lorsqu’on saisit le Procureur. Cela a en effet été rejeté plus tôt lors des débats. « Il est faux de dire qu’il y a des contrôles, qu’il y a des critères stricts et que c’est pour la fin de vie, ce n’est pas pour la fin de vie, insiste l’élu. Ce n’est pas parce que vous répétez des choses qui ne sont pas vraies qu’elles deviennent des vérités. »
Une fin d’examen au pas de course
Elise Leboucher (LFI-NFP), rapportrice du texte, considère de son côté que « judiciariser le contrôle du consentement de la personne est superfétatoire, cela allonge la procédure ». Elle cite l’Espagne, où un tiers des patients atteints de cancer décèderait avant l’obtention de l’« aide à mourir », « dans des souffrances qui auraient pu être évitées » (cf. Euthanasie : « ne pas se laisser enfermer dans le piège du choix truqué entre mourir ou souffrir »).
Les députés obtiendront seulement que si « la commission estime que des faits commis à l’occasion de la mise en œuvre, par des professionnels de santé, des dispositions (…) sont susceptibles de constituer un manquement aux règles déontologiques ou professionnelles », elle saisisse la chambre disciplinaire de l’ordre compétent. Initialement le texte prévoyait seulement qu’elle puisse le faire.
Sur l’évaluation, Philippe Juvin revient sur une proposition qui avait fait polémique lors de l’examen en commission : celle d’évaluer « les coûts et les économies induits par l’aide à mourir pour le système de santé » (cf. Évaluer le coût de la mort provoquée : l’amendement 996 secoue le débat). Son amendement est rejeté. La question restera un impensé. (cf. Euthanasie : la question économique que personne ne soulève). L’article 15 est adopté.
L’article 16 est adopté en 15 minutes sans avoir été amendé. Des élus se sont inquiétés, sans rien obtenir, de la traçabilité des substances létales. Pour Catherine Vautrin, la procédure est très encadrée. « Ne tombons pas dans la caricature », s’agace-t-elle.
A minuit les députés ont, pour la plupart, déserté l’hémicycle. Après cet examen au pas de course, il leur reste 183 amendements à examiner sur les 4 derniers articles.