« Aide à mourir » : une révision « cosmétique » de la collégialité

23 Mai, 2025

Jeudi, il y a très peu de monde dans l’hémicycle à 9h, lorsque la discussion de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir » reprend à l’article 6. Le débat débute par la discussion de trois amendements visant à modifiant la terminologie, préconisant l’utilisation de « mort programmée » ou d’« aide active à mourir » à la place d’« aide à mourir ».

Mais alors que ce débat a eu lieu à de nombreuses reprises, cette fois le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) prend le temps de répondre, revenant sur toute l’analyse sémantique déjà effectuée, notamment sur les termes d’euthanasie et de suicide assisté. Philippe Juvin (Droite Républicaine) s’en indigne : « On s’était mis d’accord sur 1 minute chacun, vous parlez 5 minutes Olivier Falorni, on sait très bien pourquoi : vous attendez d’avoir des alliés pour ne pas que ces amendements soient adoptés ». Il est rejoint par Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République), déplorant la manière dont débute la journée. Les amendements sont rejetés.

Le rejet des garanties d’une volonté « libre et éclairée »

Comme la veille (cf. « Droit à l’aide à mourir » : « Moi j’avais cru comprendre que quand on est plutôt de gauche, c’est quand même la vocation la première de protéger les faibles, de protéger les vulnérables »), certains députés s’inquiètent de l’absence de réelle garantie quant au caractère « libre et éclairé » de la volonté. Ainsi, Thibault Bazin (Droite Républicaine) propose dans l’amendement 1636 de refuser l’accès à l’« aide à mourir » aux personnes qui expriment un « sentiment mêlé d’inutilité et d’inexistence », qui « nous renvoie à notre responsabilité collective car c’est le regard que porte notre société sur ces personnes qui leur font percevoir leur indignité : elles n’ont pas d’indignité ».

Il est soutenu par son collègue Patrick Hetzel (Droite Républicaine) qui cite une tribune du professeur émérite d’éthique médicale Emmanuel Hirsch, alertant : « il nous faudra assumer les conséquences humaines, sociales et éthiques d’une législation favorable à une mort donnée. Rien n’est de nature à convaincre que les sociétés [qui ont légalisé l’aide à mourir] auraient gagné en fraternité, en dignité, en liberté, en autonomie, en solidarité, en justice ou en humanité ». Le message que souhaite porter Patrick Hetzel est bien celui de la « protection et de la fraternité ».

Cet amendement ne fait pas l’unanimité : les députés Michel Lauzzana (Ensemble pour la République) et Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés) en sont des contempteurs. Pour le premier, le sentiment d’indignité existe par rapport à soi-même, et pour le second, « on ne peut pas protéger quelqu’un contre sa volonté ». Le rapporteur Laurent Panifous (LIOT) se veut rassurant : un sentiment de dégradation personnelle ne suffira jamais à accéder à ce dispositif. L’amendement est rejeté. Il en est de même pour la proposition n°1637 de Thibault Bazin visant à saisir un psychiatre lorsqu’il y a des doutes sur le caractère libre et éclairé de la demande.

Même l’amendement du Gouvernement (2657) visant à s’assurer « qu’en cas de doute sérieux sur le discernement de la personne, le médecin consulte, dans le cadre de la procédure collégiale, un psychiatre ou un neurologue » est rejeté. Pourtant Olivier Falorni le trouvait « équilibré ».

Philippe Juvin réclamait un recours systématique au psychiatre, Patrick Hetzel que l’avis du psychiatre et du neurologue s’impose au médecin. Selon Sandrine Rousseau (Ecologiste et Social), le psychiatre recherche les troubles psychiques, il n’est pas un spécialiste du discernement. « Cela voudrait dire qu’une maladie psychique atteint forcément le discernement. ». N’est-ce pas justement le cas ?

Le grand absent : le juge

Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons et Indépendants) souhaite s’assurer que le patient et le médecin ont étudié toutes les alternatives avant l’« aide à mourir ». Cette proposition est complétée par Justine Gruet (Droite Républicaine), qui propose de judiciariser la procédure d’« aide à mourir » sur la volonté libre et éclairée. C’est le grand questionnement sur lequel revient régulièrement Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates) à l’occasion de l’examen de différents articles : « On dit que c’est une loi sociétale, mais on abandonne toute la responsabilité et les conséquences de sa décision au médecin ? Où est la société là-dedans ?» Il ajoute : « quand il y a un don d’organes entre frères, il y a un juge. Là on vote un texte où la société, pour une loi sociétale, est totalement absente. On se lave les mains en laissant les médecins décider ».

Ce à quoi Sandrine Rousseau ne manque pas de réagir : « Cet amendement part du principe que l’aide à mourir n’advient que par défaut de traitement. Mais on est en phase avancée ou terminale, avec des critères cumulatifs, c’est un choix de la personne. Ce n’est pas un pouvoir du médecin, c’est le patient qui prend la décision ». Justine Gruet s’interroge : « soit c’est une liberté individuelle et, dans ce cas-là, c’est le droit du patient. Soit c’est une décision du médecin. C’est un sujet important. Ne dites pas que les médecins ne sont pas responsables et engagés dans cette prise de responsabilité. C’est faux ». La ministre de la Santé tranchera, avant que les amendements ne soient rejetés, affirmant qu’il s’agit d’« une décision du patient avec avis médical ».

En « cohérence », la proposition (1643) de Thibault Bazin d’éventuellement recueillir l’avis d’un proche du patient est rejetée.

Une collégialité de procédure, et non de décision 

S’ensuivent alors plusieurs heures de débats sur la procédure collégiale, prévue par le texte, mais insuffisante selon la majorité des députés.

Dix amendements, de tous bords, visant à préciser la procédure collégiale sont rejetés. « Aujourd’hui, un médecin est à la fois expert, décideur et exécutant, c’est dramatique » alerte Dominique Potier (Socialistes et apparentés).

Souhaitant répondre à la demande d’un grand nombre, seront privilégiés les amendements n°1722 et n°1723 défendus par Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales (Horizons et Indépendants) et le rapporteur Laurent Panifous. Ces deux amendements viennent confirmer que la procédure collégiale n’est qu’une collégialité de procédure, et non de décision : la décision finale revient au médecin seul et Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) ne manque pas de le rappeler : « Il y a une délibération collégiale, mais au bout, c’est une décision du médecin référent ». L’objectif du président de la commission est de réaliser un parallélisme avec la procédure mise en œuvre pour une décision de sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Tous les sous-amendements visant à rendre cette procédure plus contraignante seront rejetés, excepté ceux de Thibault Bazin et Philippe Juvin (n°2706 et 2721), adoptés à l’unanimité. Ils visent à réintégrer l’avis de la personne de confiance dans le processus. D’autres entendant imposer un avis écrit du collège, le format présentiel ou encore l’examen du patient par tous les médecins, ne suscitent pas l’adhésion de l’hémicycle. Voire suscitent la colère : « On ne peut pas prétendre vouloir la collégialité et créer les conditions qu’il n’y en ait pas », s’insurge Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine).

Ainsi, avec l’adoption par 112 voix contre 61 des amendements de Frédéric Valletoux et Laurent Panifous, amendée par les députés Thibault Bazin et Philippe Juvin, la procédure collégiale mise en place par le médecin référent réunira un collège pluriprofessionnel composé au moins d’un médecin spécialiste de la pathologie du patient et d’un auxiliaire médical. La réunion devra se faire en présentiel, dans la mesure du possible. Le médecin pourra faire appel à l’avis de la personne de confiance, si le patient le souhaite, mais décidera seul in fine. Il en fera un avis écrit et motivé.

Un amendement « cosmétique » selon Philippe Juvin, alors que les médecins étaient les premiers à réclamer une véritable collégialité.

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