Accompagner l’enfant anencéphale…

Publié le 11 Juin, 2015

Teddy, l’un des jumeaux que Jess Evans porte, est atteint d’anencéphalie. Sa mère souhaite que son enfant puisse donner ses organes pour que « sa vie ne soit pas vaine » (Cf. Gènéthique vous informe du 12 juin 2015). Au-delà de l’utilité, le sens de la vie de ce nouveau né peut-il se limiter au don de ses organes ? Pour Gènéthique, le Dr Benoît Bayle revient sur l’importance avant tout d’accompagner l’enfant anencéphale…

 

L’histoire du jeune Teddy, dont les parents ont organisé le don d’organe à l’aube de sa vie, montre à quel point nous sommes peu familiarisés avec l’univers des soins palliatifs périnataux. Il ne s’agit pas seulement de penser les soins autour d’un nouveau-né incurable, qui ne pourra survivre, mais aussi d’accompagner l’enfant à naître et ses parents, dès la grossesse, puisque l’échographie permet désormais de dépister très tôt des malformations parfois sévères et incurables, qui entraîneront le décès néonatal de l’enfant[1] Ainsi, il existe une alternative à l’interruption médicale de grossesse en cas d’anencéphalie : accompagner la gestation, la naissance et la mort de l’enfant atteint, avec amour et respect, afin de le laisser vivre jusqu’au terme son existence d’être humain, existence infiniment fragile et mystérieuse, et pourtant porteuse de sens. Certains parents font ce choix et traversent cette épreuve du deuil avec douleur certes, mais aussi avec paix, jouissant de la sérénité d’avoir rencontré leur enfant et partagé avec lui un moment important, sinon inoubliable. Internet, avec ses sites, ses blogs ou ses forums, permet aux parents affectés par ce deuil particulier de partager leur expérience et de se sentir moins isolés, lorsque l’univers médical semble volontiers hostile, sinon rebelle à leur décision. Nous pouvons facilement accéder à leurs témoignages émouvants[2]

 

Comme celle de tout être humain, la vie de l’enfant anencéphale a un sens unique et irremplaçable, qu’il s’agit de découvrir[3]. Pour comprendre le sens de la vie de cet enfant déroutant qui ne vivra que quelques heures, il est impossible de rechercher ses performances, de se projeter avec lui dans un avenir d’enfant ordinaire, avec ces attentes multiples que tout parent projette ; il faut plutôt voir ce que cet enfant est capable de donner à ceux qui l’entourent d’affection, à travers sa seule présence de bébé dont le petit crâne malade aura été recouvert par les soignants d’un bonnet tricoté ou d’un adroit bandage. Le sens de la vie de cet enfant qui va mourir, ou parfois même, qui est déjà mort, est à découvrir dans cette présence simple et dépouillée, unique… Il ne faut pas avoir peur de donner à cet enfant la possibilité de manifester sa plénitude de sens, lui faire confiance, car il ne veut aucun mal à ceux qui lui ont donné vie.

 

Mais le sens d’une vie se trouve également marqué par les décisions de l’environnement. L’enfant anencéphale agit ici en révélateur d’autrui ! Oserons-nous nous laisser toucher par cet être démuni ? L’enfant anencéphale peut réveiller quelque chose d’admirable chez autrui. C’est cela qu’il importe d’apprendre de lui, et les parents qui font le choix de l’accompagner le savent. Sa courte vie peut magnifier autrui, l’aider à donner le meilleur de lui-même, par delà l’inévitable souffrance. Mais il ne faut pas être dupe, sa dignité fragile peut aussi être bafouée au gré de notre refus de le considérer comme un être humain à part entière, trop humaine tentation. Comme malheureusement tant d’autres enfants, il peut lui-aussi faire l’objet de maltraitance, y compris médicale, tel cet avis du Council on Ethical and Judicial Affairs de l’American Medical Association[4] qui entendait justifier le prélèvement d’organe sur le nouveau-né anencéphalique vivant, donc non encore décédé ! 

 

Ce n’est qu’après avoir défini ces préalables que nous pouvons aborder pleinement la question du don des organes prélevés sur l’enfant anencéphale… Cette décision appartient aux parents. L’histoire de Teddy s’inscrit manifestement dans une tradition familiale quasi militante du don d’organe. Ses parents semblent entendre l’inscrire à tout prix dans leur lignée. Peut-on le leur reprocher dans cette épreuve douloureuse qu’aucun parent ne souhaite traverser ? Quels repères proposer alors pour que ce don d’organe soit acceptable ? Elio Sgreccia, dans son Manuel de Bioéthique, donne un avis rigoureux que je résume : 1) le prélèvement d’organe sur un enfant anencéphale vivant est un acte de vivisection inacceptable sur le plan éthique ; 2) la réanimation de l’enfant à sa naissance est un soin disproportionné et relève de l’acharnement thérapeutique ; 3) si l’enfant est d’abord accompagné par des soins habituels et qu’il reçoit une réanimation à l’approche de la dégradation de son état général, afin d’améliorer la qualité des organes prélevés : il s’agit là d’une instrumentalisation de l’enfant ; 4) l’attitude la plus adaptée eu égard au respect de la personne de l’enfant anencéphale est de l’accompagner par des soins ordinaires jusqu’à l’arrêt cardio-respiratoire, puis de prélever les organes à ce moment [5]. Cette situation rend cependant la greffe d’organe précaire… Reste à déterminer l’intérêt du prélèvement d’organe sur l’enfant anencéphale, car ses organes ne sont pas toujours compatibles avec la possibilité de succès de la greffe. Le Comité d’éthique canadien (2005) exprimait ainsi une opinion négative sur le prélèvement d’organe chez le nouveau-né anencéphale[6]

 

[1] Consulter : http://www.spama.asso.fr/fr/ (04/06/2015).

[3] La logothérapie de Viktor Frankl, troisième école viennoise de psychothérapie, peut sans doute nous aider à découvrir ce sens unique de l’enfant anencéphale. Pour connaître cette approche et son auteur : Frankl, Viktor E. : Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie (2012). Les éditions de l’Homme /J’ai lu, Paris. Pour un approndissement, lire : Frankl, Viktor E. : Nos raisons de vivre (2009). Inter-Editions-Dunod, Paris. Frankl, Viktor E. : Le Dieu inconscient (2012). Inter-Editions-Dunod, Paris.

[4] American Medical Association, Council on Ethical and Judicial Affairs. The use of anencephalic neonates as organ donors. JAMA. 1995;273:1614–8.
Sur cette question, lire également : Déchamp-Leroux Catherine. Débats autour de la transplantation d’organes. In: Sciences sociales et santé. Volume 15, n°1, 1997. Les greffes d’organes : le don nécessaire. pp. 104-108.

[5] Sgreccia Elio (2004) : Manuel de Bioéthique. Les fondements et l’éthique biomédicale. Mame-Edifa, Paris, p. 742-744.

[6] Le recours aux nouveau-nés anencéphales comme donneurs d’organes. Paediatr Child Health. 2005 Jul-Aug; 10(6): 339–341.
 

Benoît Bayle

Benoît Bayle

Expert

Docteur en philosophie, psychiatre dans les milieux hospitaliers, Benoît Bayle est spécialisé dans la psychologie de la conception humaine et de la périnatalité, ainsi que dans les questions bioéthiques relatives à la médecine de la procréation. Il exerce comme praticien hospitalier au Centre hospitalier Henri Ey de Bonneval, responsable d'un Centre médico-psychologique pour adultes, à Chartres, et d'une unité de psychologie périnatale, à Chateaudun. Benoît Bayle achève actuellement une formation pour devenir logothérapeute. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages sur ces sujets: "L'enfant à naître" (2005), "Ma mère est schizophrène" (2008) aux editions Erès ou encore "A la poursuite de l'enfant parfait" (2010, ed Robert Laffont)

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