40 ans après la loi Veil : Un droit fondamental à l’IVG? [Décryptage 2]

Publié le 18 Nov, 2014

Jean-Marie Le Méné, Président de la Fondation Jérôme Lejeune, transmet à Gènéthique des éléments d’information pour décrypter la proposition de résolution visant à réaffirmer un droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Le texte de cette résolution n’est pas encore mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. Vous pouvez le consulter sur Gènéthique.org.

Le 5 novembre 2014, le Président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, annonçait qu’une proposition de résolution visant à « réaffirmer un droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe » serait discutée le mercredi 26 novembre. Cette proposition de résolution est présentée par la députée Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes, 40 ans après l’ouverture des débats de la loi Veil.

Au-delà du simple symbole, il s’agit d’une action politique déterminée à sacraliser un prétendu droit de la femme à disposer de son corps au mépris du droit français lui-même.

La proposition de résolution[1] consiste notamment à :

  • Réaffirmer « l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les femmes en France, en Europe et dans le monde »
  • Rappeler que « le droit universel des femmes à disposer librement de leurs corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et d’une société de progrès ».

L’IVG peut-elle être un droit ? Peut-elle devenir un droit fondamental ? Disposer de son corps est-il un droit à part entière ? Quel impact une telle proposition de résolution peut-elle avoir sur l’IVG ?

Autant de questions qui nécessitent des réponses pour comprendre, 40 ans après la loi Veil, l’enjeu politique et sociétal de l’IVG qui est d’abord une atteinte à la vie humaine. Bien qu’il s’agisse d’un texte dénué de portée normative, il est révélateur de l’avis du Parlement. Avis qui encourage le gouvernement à agir et impacte l’opinion publique.

L’interruption volontaire de grossesse peut-elle être un droit ? Peut-elle devenir un droit fondamental ?

Il faut rappeler que les droits fondamentaux sont tous les droits reconnus par la Constitution ou qui font partie du bloc de Constitutionnalité. Il s’agit par exemple des droits issus de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946, de la Charte de l’environnement… Ainsi, la propriété, la sureté, l’égalité…sont des droits fondamentaux.

L’interruption volontaire de grossesse est encadrée par l’article L.2212-1 du code de la santé publique (CSP). Elle est une dérogation au principe d’ordre public de protection de l’être humain dès le commencement de sa vie.

En effet, cet article est précédé dans la loi Veil de deux principes généraux :

– l’article 16 du code civil, principe d’ordre public, qui dispose que : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » (Article L.2211-1 CSP)

– l’article L.2211-2 CSP qui renforce cette disposition : « Il ne saurait être porté atteinte au principe mentionné à l’article L.2211-1 qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par le présent titre. L’enseignement de ce principe et de ses conséquences, l’information sur les problèmes de la vie et de la démographie nationale et internationale, l’éducation à la responsabilité, l’accueil de l’enfant dans la société et la politique familiale sont des obligations nationales. L’Etat, avec le concours des collectivités territoriales, exécute ces obligations et soutient les initiatives qui y contribuent. »

Les conditions encadrant l’IVG sont donc nombreuses, et démontrent qu’elles sont inhérentes à l’interruption volontaire de grossesse et essentielles pour la cohérence du droit français dont le principe fondamental est la protection de l’être humain dès le commencement de sa vie. L’interruption volontaire de grossesse ne peut donc pas être qualifiée de droit, puisqu’elle constitue une exception au principe d’ordre publique énoncé. On ne peut donc de surcroit être qualifiée de droit fondamental.

Eriger l’interruption volontaire de grossesse en droits inhérents à la personne est un non sens juridique. En effet inscrire dans un texte juridique un droit fondamental à interrompre sa grossesse aboutirait à développer un « droit post-moderne […] incohérent » comme l’évoque la juriste Anne-Marie Le Pourhiet , à créer un conflit de normes et serait source d’insécurité juridique ou d’anarchie. Cela reviendrait à inscrire des « principes virtuels », pour reprendre la notion évoquée par le constitutionnaliste Bertrand Mathieu[3], dont « la portée n’est pas définie » et qui seraient utilisés au gré de la volonté individuelle.

Enfin, il est intéressant de relire les propos de Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ, sur le lien entre avortement et Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) :

« La CEDH exclut la logique unilatérale « d’un droit à l’avortement » et recherche une mise en balance proportionnée des droits, libertés et intérêts concurrents en jeu. Pour la CEDH, l’enfant à naître existe, il « appartient à l’espèce humaine » et mérite protection.

En droit international,[4] et européen[5], il n’existe pas de « droit à l’avortement » qui obligerait un Etat à légaliser l’avortement, mais seulement un droit à la vie et à la santé pour tout être humain, qui peut justifier éventuellement un avortement lorsque la grossesse met en péril la vie de la mère. Ce droit à la vie est lui-même accompagné par un droit des femmes enceintes et des familles à recevoir le soutien de la société. Il existe en revanche un consensus quant à la nécessité de lutter contre l’avortement, notamment en développant une politique de prévention. La Conférence internationale du Caire de 1994 affirmait que « L’avortement ne devrait, en aucun cas, être promu en tant que méthode de planification familiale » et invitait vivement tous les gouvernements « à renforcer leur engagement en faveur de la santé de la femme (…) et à réduire le recours à l’avortement » sachant que  « tout devrait être fait pour éliminer la nécessite de recourir à l’avortement. »[6] De même, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, dans sa Résolution 1607 du 16 avril 2008 réaffirmait que « L’avortement doit être évité, autant que possible. »

Un droit à disposer de son corps ?

Il convient de rappeler que le « droit à disposer de son corps » n’est inscrit dans aucun texte national ou international. Il s’agit d’une fabrication qui peut être appliquée de manière inquiétante car sans limite. Dans le domaine de la santé, le « droit à disposer de son corps » développera l’avortement eugénique et pourra justifier la procréation médicalement assistée de convenance, la vitrification ovocytaire de convenance, la gestation pour autrui, l’accès à ces techniques pour les personnes homosexuelles, ou les célibataires, la prostitution, la vente d’organes... Eriger un droit à disposer de son corps peut toucher tous les domaines de la procréation, et s’étendre sans limite sous couvert du principe de la liberté et de l’autonomie.

En conclusion, cette résolution impactera le cadre juridique français, l’opinion publique, et surtout les femmes.

Un impact juridique  
Affirmer que l’IVG est un droit fondamental est incompatible avec le code civil (article 16) et le code de la santé public (article L.2211-1) qui posent comme principe fondamental le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. L’IVG est une dérogation à ce principe. Eriger l’IVG en principe fondamental au même titre que le respect de la vie constituerait un conflit de normes inextricable. Si cette proposition de résolution est votée le 26 novembre prochain, c’est un renversement des valeurs de la République et une impasse juridique qui en résulteront.

Un impact psychologique
Dans la législation française, l’IVG n’est pas un droit mais une dérogation au principe d’ordre public de respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. L’avortement est et « restera un drame » pour les femmes, selon les mots de Simone Veil elle-même. La décision d’interrompre une grossesse fait partie des décisions les plus difficiles à prendre pour une mère. Cet acte laisse des séquelles, souvent profondes et traumatisantes. La souffrance des femmes qui vivent un avortement doit être accompagnée par les pouvoirs publics.

Or en considérant l’IVG comme un droit fondamental, l’on nie aux femmes le droit de souffrir et d’exprimer publiquement cette souffrance. En faisant de l’IVG un droit fondamental, l’on balaye d’un revers de main les milliers de femmes qui réclament de l’aide pour poursuivre à terme leur grossesse, et celles qui souffrent du syndrome post-avortement. (Pour en savoir plus sur l’impact psychologique, voir annexe 3 l’interview de Benoit Bayle).

Le rôle du législateur n’est pas d’affirmer un prétendu droit fondamental à l’IVG mais d’offrir aux femmes des alternatives sérieuses à l’avortement quant celles-ci souhaiteraient garder leur enfant mais sont en manque de moyens et nécessitent d’être soutenues par les pouvoirs publics.

Un impact symbolique       
Ce texte n’aura pas de portée normative mais aura une portée symbolique forte car il reflète l’avis de l’ensemble des députés. La résolution sera un signal en direction de l’opinion publique et peut servir de levier à une nouvelle loi sur l’IVG. Alors que les citoyens sont aujourd’hui en attente de repères clairs en cohérence avec la réalité, le Parlement peut-il continuer à célébrer comme un droit l’atteinte à la vie humaine ?

***

Pour en savoir plus sur les Eléments de contexte de la proposition de résolution :

La proposition de résolution correspond aux objectifs poursuivis par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh).

– Le 13 septembre 2013, le HCEfh présentait son premier rapport relatif  à « l’accès à l’IVG- volet 1 information sur l’avortement sur internet ».

– Le 7 novembre 2013, le HCEfh publiait le deuxième volet de ce travail intitulé « Accès à l’IVG dans les territoires ».

– Janvier 2014, le Parlement adoptait en première lecture le projet de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes intégrant par voie d’amendement la suppression de la notion de détresse et l’extension du délit d’entrave à l’avortement.

– Le 5 août 2014, après plusieurs lectures, et une saisine du Conseil Constitutionnel, la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes est promulguée : l’interruption volontaire de grossesse ne fait plus référence à une détresse de la femme, et le délit d’entrave à l’IVG est étendu à l’information.

– Le 1er octobre 2014, la délégation aux droits des femmes auditionne la présidente du HCEfh. Le compte rendu affiche plusieurs objectifs tels que : supprimer le délai de réflexion de 7 jours obligatoire avant de procéder à un avortement, supprimer la disposition relative à la clause de conscience expressément attachée à l’IVG, restaurer l’activité d’IVG dans les établissements de santé qui l’ont arrêtée et l’imposer à tous les établissements disposant d’un service de gynécologie, créer un plan national « sexualité-contraception-IVG »…

Forts de la dernière discussion sur l’IVG au Parlement, sur la suppression de la notion de détresse, validée par le Conseil Constitutionnel, le HCEfh poursuit ses objectifs en choisissant le jour anniversaire des débats de la loi Veil pour aller plus loin et inscrire pour la première fois dans un texte juridique un « droit fondamental à l’IVG ».

 

[1]La résolution est un acte par lequel l’Assemblée émet un avis sur une question déterminée. Elle n’a pas de valeur normative, mais reflète l’avis de l’Assemblée sur un sujet donné. La résolution est encadrée par l’article 34-1 de la Constitution. Elle peut être déposée au nom d’un groupe par son président ou par tout député. L’inscription d’une résolution à l’ordre du jour est décidée en Conférence des présidents, à la demande d’un président de commission ou d’un président de groupe, dès lors qu’un délai minimal de six jours francs à compter de son dépôt est respecté. Elle ne fait pas l’objet de navette parlementaire (une seule lecture est requise). Le vote des résolutions constitue une des voies d’affirmation du Parlement, lui permettant d’exercer une expression distincte de la réponse législative.

[2] « IVG discrétionnaire : la dictature néo-féministe »17 février 2014 – Causeur.fr par Anne-Marie Le Pourriet

[3] Le contrôle de constitutionnalité virtuel de la législation relative à l’IVG, par Bertrand Mathieu – JCPG 8/9

[4] Cf. inter alia, La déclaration de San José du 25 mars 2011 qui met en avant qu’aucun traité de l’ONU ou s’imposant dans l’ordre international, pas plus qu’un jugement d’une Cour internationale ne garantit un tel « droit. »

[5] CEDH, A. B. et C. c. Irlande, n° 25579/05, 16 December 2010, §214, « Article 8 cannot, accordingly, be interpreted as conferring a right to abortion ».

[6] Programme d’action, § 8.25. Rapport de la Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 5-13 septembre 1994, Nations-Unies, New-York, 1995. Consultable à l’adresse suivante : http://www.unfpa.org/webdav/site/global/shared/documents/publications/2004/icpd_fre.pdf

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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