Fin de vie : Catherine Vautrin, première auditionnée de la commission spéciale

23 Avr, 2024

Le 22 avril, en fin d’après-midi, la ministre de la Santé, du Travail et des Solidarités, Catherine Vautrin a été la première à être auditionnée par la commission spéciale de l’Assemblé nationale chargée d’examiner le projet de loi sur la fin de vie. Le début des débats parlementaires.

Dans une salle bien remplie, malgré les vacances parlementaires, les questions des députés ont été nombreuses, préfigurant les débats à venir et les points d’achoppement du projet de loi qui instaure le suicide assisté et l’euthanasie.

La fraternité, « ce n’est pas simplement dire “si tu veux la mort, on va te donner la mort” »

Catherine Vautrin rappelle les termes du projet de loi présenté il y a peu en Conseil des ministres, et tente de rassurer son auditoire pour défendre son texte.

« Ce texte s’inscrit dans la continuité des précédentes lois. C’est un nouveau chapitre que nous allons discuter » explique-t-elle. « Ce nouveau chapitre n’est pas « un “copié-collé” de la législation étrangère », « ce n’est pas non plus un modèle euthanasique (..), ni une autorisation à se suicider. Il y a des conditions strictes » croit pouvoir assurer la ministre. Difficile à croire alors que le texte crée une rupture civilisationnelle.

« C’est un projet de loi de solidarité envers les personnes les plus vulnérables », « un texte d’équilibre » insiste la ministre. Mais est-ce bien là la solidarité attendue par les personnes en fin de vie ? Etre accompagnés, soignés, écoutés, reconnus tels qu’elles sont, voilà ce que demandent les personnes vulnérables comme en ont témoigné les signataires du manifeste des 110 (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »).

La fraternité, n’en déplaise à la ministre, ce n’est pas simplement dire « si tu veux la mort, on va te donner la mort » s’insurge le député LR Patrick Hetzel. « C’est lutter de manière ferme et forte pour dire que ta vie mérite d’être vécue ». (cf. La force du paradoxe : comment les plus fragiles révèlent la puissance de « l’envie de vivre »).

« Une loi doit être compréhensible, votre projet de loi ne l’est pas »

« Au terme des débats, j’ai entendu des craintes (..), une forte exigence de clarté et de précisions, une attente de vigilance au vu de la grande sensibilité du projet de loi » explique Catherine Vautrin. Mais saura-t-elle pour autant y répondre ? Rien n’est moins sûr.

Le projet de loi soulève de nombreuses interrogations. La question de la sémantique est sur bien des lèvres, de nombreux députés dénoncent l’ambiguïté entretenue par le Gouvernement. « Une loi doit être compréhensible, votre projet de loi ne l’est pas » rétorque ainsi Sandrine Dogor-Such, présidente du groupe RN. « Vous ne nommez pas ce que vous voulez légaliser, l’euthanasie et le suicide assisté ». « Les lois étrangères ont employé ces mots, pourquoi pas vous ? » interroge la députée.

Une pente glissante

La majorité des députés, y compris ceux qui sont favorables au texte, demandent aussi des précisions. La collégialité et les critères d’accès à l’« aide à mourir » sont discutés. Certains tentent déjà de repousser les limites fixées par le projet de loi, notamment pour permettre l’ouverture de l’« aide à mourir » aux personnes atteintes de la maladie de Charcot. La ministre s’y oppose, aujourd’hui. Mais qu’en sera-t-il demain ?

« Les personnes concernées par ce texte ne le sont pas par leur âge ou leur handicap, mais bien en raison d’une pathologie. C’est une question médicale » assure la ministre. « Personne n’imposera jamais à qui que ce soit la volonté de recourir à l’aide à mourir » affirme la ministre. Pourtant, la loi fera basculer dans un autre rapport à la vulnérabilité, envoyant un message implicite qui pourrait conduire les plus fragiles à l’auto-effacement (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). Comment être sûr qu’il n’y ait pas non plus d’abus de faiblesse avec une procédure qui se contente de l’avis d’un seul médecin ?, déplorent plusieurs députés.

Des demandes d’euthanasie à défaut d’accès aux soins palliatifs ?

« Le préalable à toute action sur la fin de vie est un renforcement de l’accès aux soins palliatifs » insiste la ministre qui rappelle les engagements du plan décennal. Etonnamment, les soins palliatifs ne font pourtant l’objet que de 4 articles sur les 21 du projet de loi. « Seules quelques mesures sont législatives » reconnait Catherine Vautrin.

Elle refuse d’opposer les deux parties du projet de loi qu’elle juge nécessaires. Selon elle, les deux mesures, soins palliatifs et « aide à mourir », sont « complémentaires ». Pourquoi vouloir dévoyer ainsi les soins palliatifs ? (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs ») Les soignants, n’ont eu de cesse de le rappeler : donner la mort n’est pas un soin. Alors que le monde de la santé est en crise, que des unités de soins palliatifs ferment faute de soignants, le projet de loi aura de dangereux effets délétères (cf. Fin de vie : 22 % des médecins en soins palliatifs se disent prêts à démissionner).

La ministre reconnait que « la France n’est pas au rendez-vous de l’accès universel aux soins palliatifs » (cf. La prise en charge de la douleur, un autre parent pauvre de la médecine). Un constat unanime de tous les acteurs. Comment faire autrement ? Face à ce contexte, le président du groupe LR, Philippe Juvin, alerte et fait part de sa crainte « que les demandes d’euthanasie puissent se faire par défaut d’accès aux soins palliatifs ».

« Dans quelle mesure seriez-vous disposée à garantir un droit opposable aux soins palliatifs pour tous les patients le nécessitant ? » questionne Thibault Bazin, député LR. « Nous pourrions alors parler de mieux accompagner les personnes en fin de vie » souligne-t-il.

Malgré la volonté et les hausses affichées, sans surprise, les moyens alloués aux soins palliatifs font aussi débat au sein de la commission, tant parmi les opposants que chez les défenseurs du texte. Nombreux sont les députés qui exigent une « effectivité » et une « planification budgétaire ».

« Ecoute, humilité et respect ? »

Lors de l’audition, la ministre comme les rapporteurs ont tous appelé de leurs vœux un débat guidé par « l’écoute, l’humilité et le respect ». De belles intentions, de belles notions qui ne semblent pas avoir inspiré la confiance des députés, mais plutôt leur méfiance, voir leur défiance.

« Le calendrier au pas de charge est-il de nature à [le] garantir ? » interroge Emmanuel Frenades, député NUPES LFI. « Le respect ne commence-t-il pas par le respect de la part du Gouvernement de notre Assemblée comme de l’ensemble des citoyens ? » « Olivier Falorni a parlé d’exigence républicaine, peut-elle s’accommoder de basses manœuvres politiciennes ? » poursuit-il.

Face à ces contradictions, le climat se tend. « Je ne suis pas en charge d’établir le calendrier de votre Assemblée » s’agace Catherine Vautrin. « J’imagine mal que l’examen de ce texte soit terminé avant l’année 2025 » ajoute la ministre. « Nous ne parlons pas du tout en semaines, mais au minimum en mois ». Le temps est nécessaire pour écouter les différents points de vue, mais sera-t-il suffisant pour enrayer un système où tout semble fait pour aboutir à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ?

Désormais, le texte va poursuivre « sa grande traversée parlementaire » comme le dit Olivier Falorni. Le début d’un parcours législatif qui s’annonce mouvementé.

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