Fin de vie : « l’euthanasie ne soignera jamais la solitude, ni le désespoir, ni la souffrance »

25 Avr, 2024

Le 25 avril, les auditions de la commission spéciale sur la fin de vie ont débuté par une table ronde réunissant plusieurs associations, dont la Fondation Jérome Lejeune. Véronique Bourgninaud, chargée du plaidoyer « vulnérabilité et handicap », mère de deux enfants handicapés, et fille d’un père tétraplégique, mort précocement d’une sclérose en plaques a livré son témoignage. Une belle leçon de vie. Gènéthique reproduit ici son intervention.

Je vis avec la grande maladie depuis ma plus tendre enfance. Je sais, parce que je les vis, les pressions sociales et collectives, plus ou moins conscientes, que subissent les personnes gravement malades et leur entourage. Je m’exprime devant vous à ce titre-là.

Mon père a perdu l’usage de ses jambes quand j’étais enfant. Puis il a vécu tétraplégique pendant 23 ans jusqu’à sa mort, après un combat de 40 années contre la maladie. La pire vie qui soit, semble-t-il. Pourtant, mon père était pleinement dans la vie, quand bien même il souffrait, était définitivement et totalement invalide, et l’issue certaine. Il était accroché à la vie parce qu’il était entouré, considéré et encouragé (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »). Considéré par ses proches, considéré par le corps médical et le personnel soignant, qui ont largement participé à nourrir son appétit de vivre par la qualité de leur accompagnement. Protégé enfin par la société, et il lui en savait gré.

« L’expérience profonde de la fraternité humaine »

Il aspirait à vivre cette vie singulière qui était la sienne. Sa mort a été un des moments vécus le plus intensément, parce qu’elle a été traversée par l’expérience profonde de la fraternité humaine (cf. « Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement »).

Bien sûr, le quotidien était très lourd et très singulier, pour lui d’abord, et pour nous les proches. Et pourtant, j’ai surtout le souvenir d’un homme pleinement vivant, libre, insoumis, résistant (cf. « Pleinement vivant » malgré un « corps qui me bloque »). Prisonnier, c’est vrai, de l’immobilité physique, entravé et souffrant, mais non pas empêché de vivre, de comprendre, d’aimer. Un homme bien vivant ! (cf. La force du paradoxe : comment les plus fragiles révèlent la puissance de « l’envie de vivre »)

J’ai compris d’expérience que le meilleur moyen de faire mourir rapidement un grand malade est de le laisser seul à l’hôpital, de le déshumaniser (cf. La solitude, « une priorité de santé publique » pour l’OMS). Je sais aussi qu’il ne faut pas grand-chose pour entourer une personne en fin de vie. Il faut d’abord de la relation. La mise à l’écart des personnes malades et mourantes est une réalité dramatique. Celles qui meurent seules à l’hôpital ou en institution, souffrent. La solitude accentue leur désespoir et la tentation de vouloir en finir.

L’euthanasie ne soignera jamais la solitude, ni le désespoir, ni la souffrance (cf. « Etre regardés, soulagés, accompagnés, mais pas tués »). Au contraire, si elle venait à être légalisée, elle deviendrait une oppression pour les malades et les mourants à qui l’on désigne la porte de sortie, sans retenue, et à peu de frais. Si le suicide mimétique existe, l’aide à mourir mimétique existera aussi, et les personnes dépendantes en seront les premières victimes. Il suffit pour s’en convaincre de considérer ce qui se passe dans les pays ayant légalisé l’euthanasie (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables).

«  L’interdit de tuer est un repère fondamental de la vie en société »

Vous me direz peut-être que mon témoignage relève de l’intime. C’est vrai. On a chacun une histoire. Mais nos histoires personnelles s’inscrivent dans le cadre général de la vie en société. Vous êtes là pour garantir par la loi que ce cadre général soit protecteur. Or, l’interdit de tuer est un repère fondamental de la vie en société (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »).

Je veux aussi vous dire, au nom de toutes les personnes vulnérables ou en fin de vie, la portée de sa dimension protectrice. Je veux vous faire connaître la pression et le message d’indifférence que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté mettra sur les personnes vulnérables. L’hypothétique « droit à mourir dans la dignité » contribuera à creuser l’écart qui sépare les personnes vulnérables des bien portants et des puissants qui se permettent de légiférer sur ce qui est digne d’être vécu et ce qui ne l’est pas (cf. Suicide : ne dévoyons pas « le sens de la fraternité, au nom d’une liberté mal comprise »).

C’est l’interdit de tuer qui donne une limite objective à la liberté du médecin et des institutions, et qui engage notre responsabilité. C’est l’interdit de tuer qui met mes enfants handicapés sur un pied d’égalité avec moi, leur mère bien portante. Si l’interdit de tuer tombe, les personnes vulnérables comme eux seront menacées, car on sait bien que les lois évoluent en fonction des circonstances et des intérêts des groupes de pression. Certains poussent d’ailleurs déjà pour une interprétation extensive du texte. Je tremble par avance pour mes enfants : qui les protègera quand je viendrai à disparaître, eux qui ne savent ni se défendre, ni identifier une douleur quand ils sont malades, ni exprimer leur consentement ?

« Notre responsabilité est collective »

La dignité des personnes vulnérables et en fin de vie n’est pas une circonstance évolutive (cf. La dignité est « inconditionnelle »). Elle est immuable, rien n’y changera, et il est de notre devoir d’assurer la sûreté de leurs personnes. Les laisser sans la protection de l’Etat serait criminel. Cela mettra une pression considérable sur leurs épaules, mes épaules de mère et de citoyenne. Notre responsabilité est collective. Notre société a besoin de repères solides : ne détruisez pas ceux qui fondent encore la solidarité et la solidité de notre collectif. Ceux qui ont fait leurs preuves. N’y touchez pas.

Il y a bien sûr un droit à mourir dignement, humainement, sans souffrances si celles-ci peuvent être évitées. Ce droit ne dispense pas du respect de la vie. La mort fait partie de la condition humaine, avec ses souffrances. L’euthanasie ne procure pas ces conditions de « réussite » de la mort, mais les enlève, au contraire, définitivement. Elle vole sa mort au malade. Votre responsabilité est de donner à chacun les conditions nécessaires à une mort humaine et digne (cf. Pour une fin de vie digne de l’humaine dignité).

Les gens n’ont pas besoin d’une aide active à mourir, ils ont besoin d’une aide active à vivre jusqu’à leur mort (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?). C’est l’objet propre des soins palliatifs.

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