Jacques Testart : Résister au transhumanisme “parce que l’humain vaut mieux que ce qu’il en parait trop souvent” (1/3)

Publié le 31 Mai, 2017

« Résister au transhumanisme » est la conférence inaugurale du colloque « Critique de la raison transhumaniste » , qui s’est tenu au Collège des Bernardins, les 19 et 20 mai derniers. En conclusion du séminaire « Humanisme, Transhumanisme, Posthumanisme », lancé en 2015.

 

C’est le biologiste de la procréation Jacques Testart, « père » d’Amandine, le premier bébé éprouvette français (1982), et directeur de recherche honoraire à l’Inserm, qui a prononcé la conférence inaugurale : « Résister au transhumanisme ».

 

Le transhumanisme, rappelons-le, est un mouvement, culturel et intellectuel international qui prône l’usage des sciences et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Et les libérer du handicap, de la souffrance, de la maladie, du vieillissement, voire de la mort !

 

Le Pr Testart lance un véritable cri d’alarme tout au long de sa conférence. Car, « les techniques du transhumanisme se forgent discrètement dans nos laboratoires et commencent à envahir notre quotidien ». Ces « marchands de confort et d’illusions », que sont les transhumanistes « rencontrent des intérêts industriels, mais aussi des esprits réceptifs, surtout ceux des plus jeunes ». Il est donc urgent, de résister, de « produire des pratiques de déminage », et d’« affirmer que l’humain vaut mieux que ce qu’il en paraît trop souvent ».

 

Progrès technique contre évolution naturelle

 

Jacques Testart ne  renie pas le confort apporté par le progrès technique, mais déplore vivement que « les effets des innovations deviennent irréversibles ». Et « c’est au moment où le processus s’accélère que la prudence des institutions s’efface : la référence exigeante au principe de responsabilité a été ringardisée en moins d’une génération pour s’aligner d’abord sur une balance bénéfices-risques avec le principe de précaution et finalement sur l’exigence qu’il faudrait agir au mépris du risque selon le récent principe d’innovation ». Mais ce qui l’inquiète particulièrement, c’est que, face à la lenteur de l’évolution naturelle des êtres vivants, on assiste à « l’accélération continue de la vitesse de production du nouveau, et donc de risques inédits ». Qui pourraient affecter une large partie de la population, voire les générations futures.

 

« Qui réparera les dégâts occasionnés à notre espèce par le dieu progrès ? », lance-t-il. Et d’énumérer en vrac : les énormes masses des déchets radioactifs du nucléaire à gérer sur 100 000 ans, l’agriculture industrielle qui anéantit la diversité du vivant par les biocides et la multiplication des clones agronomiques, les atteintes aux sols et aux eaux, la chimie qui a envahi les objets courants et l’alimentation, les résidus industriels qui ont contaminé corps et environnement pour des générations, provoquant des pathologies parfois héréditaires… « Une prudence bien tardive » voudrait qu’on en sorte, mais « la sagesse devrait exiger surtout que nous sortions de cette croissance économique absurde qui a ruiné la nature et les climats en seulement deux siècles ».

 

Nous sommes « incapables de gérer les conséquences de nos récents faux pas », mais prêts à commettre de nouveaux essais, malgré les risques affichés : de la diffusion partout de nanoparticules qui menacent les organes vitaux et ceux de la procréation au séquençage généralisé de l’ADN qui promeut l’enquête sur l’intimité biologique de tous, au nom de la « médecine personnalisée », en passant par l’invasion du numérique avec de futurs effets psycho-sociaux considérables… Les innovations de nos ancêtres (feu, roue, imprimerie, hygiène…) étaient « susceptibles d’améliorer le sort de chacun sans entraver le bien-être de quiconque ». Mais « le développement technologique n’est plus le prolongement du processus biologique ». Et « tous ces développements technologiques sont valorisés sans nuances, principalement sur le critère de leur nouveauté et de l’ampleur des bouleversements qu’ils proposent ».

 

Cela fait justement partie de la stratégie transhumaniste de « rendre indispensable

ce qui n’est que futilité ». Car « les technophiles se réjouissent que des prothèses et aménagements nous débarrassent des obligations de calculer, de prévoir, de s’orienter, de mémoriser, de séduire, de féconder…Comme si toutes ces économies réalisées sur le corps et sur l’esprit ne nous laissaient pas diminués, handicapés. Et comme s’il était acquis que ces qualités bientôt perdues ne nous seraient plus jamais nécessaires ! » Or, nous risquons, au contraire, « au prix d’un hypothétique perfectionnement », de rompre le fragile équilibre de notre corps et celui de l’humain avec l’environnement.

 

Certes, Jacques Testart ne sacralise rien « ni l’homme, ni la nature » et ne voit aucun projet, aucune norme dans l’ordre naturel. Mais si, pour lui, la nature résulte d’évolutions hasardeuses, il reconnaît cependant qu’elle est parvenue « à un équilibre que l’on peut nommer ‘l’ordre naturel des choses’ (…) Nous croyons que cet équilibre ne résulte pas d’un dessein, qui n’est pas immuable… ». Mais que l’harmonie entre l’humain et « le dehors » nécessite lenteur et adaptation.

 

Le transhumanisme, lui, « répond à la vieille pulsion prométhéenne en récupérant les armes neuves et de puissance inédite qu’offrent les technologies du dernier demi-siècle » (…) « C’est par dévotion à ces technologies que le transhumanisme devient une croyance (…) et « par l’opportunité qu’elle offre à l’expansion capitaliste, que cette croyance se fait religion universelle ». C’est une première

dans l’Histoire : la naissance d’« une religion transversale et consensuelle parce

que se réclamant de la science » !

 

Les rapports entre le vivant, l’humain et la machine

 

Jacques Testart met l’accent sur « l’augmentation de l’homme » des transhumanistes, « posée comme un devoir, comme la condition de sa liberté et de sa dignité ». Et souligne la supercherie « quand les machines dites ‘intelligentes’, c’est-à-dire expertes en calcul, se voient attribuer » les caractères de liberté et de dignité de l’humain. La commission juridique du Parlement européen ne propose-t-elle pas déjà, « pour les prochains robots, un statut de « personnes numériques » ? » C’est, selon le philosophe Dominique Folscheid, « l’imposture du siècle ».

 

La machine pour remplacer le cerveau (l’intelligence artificielle) et pour remplacer l’utérus (l’utérus artificiel), alors que la greffe d’utérus fonctionne déjà, c’est ce qui séduit particulièrement les transhumanistes de Technoprog (l’Association française transhumaniste). Cependant « la différence fondamentale entre l’homme et la machine résiste, malgré les proclamations transhumanistes ». Au contraire de la machine, l’humain est conscient de sa finitude, de sa mort. Et surtout « tout vivant, humain ou non, est irremplaçable puisque, après sa disparition, il n’existera jamais plus d’individu absolument identique ». Les responsables de Technoprog osent revendiquer la « dignité humaine » pour les robots produits en série, alors que « toute machine est remplaçable… » Car, selon eux « la technique permettrait de dépasser toutes les limites qui contraignent le corps dans sa condition humaine ». Le transhumaniste Laurent Alexandre ne va-t-il pas jusqu’à prétendre « qu’il n’y a aucune différence entre faire l’amour avec une personne ou avec un robot » !? Ce qui inquiète vivement le psychologue Serge Tisseron : « Le jour où nous en arriverons à croire que notre robot est capable d’amour, nous serons en danger. Il ne nous aimera pas, mais nous, nous finirons par l’aimer ». Ainsi, constate Jacques Testart, « le robot porte les espoirs d’autonomie que nous abandonnons peu à peu, et l’hybridation avec la machine laisse miroiter une promotion de l’humain défait ». D’ailleurs, « on peut se demander si, avec le cyborg (= cybernetic organism), il s’agit d’humaniser la machine ou de robotiser l’homme ».

 

Et de rappeler les grandes références classiques à « l’homme augmenté » des transhumanistes : le Golem de la tradition talmudique, physiquement puissant, mais peu intelligent ; le monstre de Frankenstein, créé par Mary Shelley, fait d’un assemblage de morceaux de cadavres, mais intellectuellement supérieur… De ces mythes, on pourrait conclure « que la matière est impuissante à secréter l’intelligence humaine. Celle-ci ne se nourrit que du vivant, même à l’état de cadavre ».

 

Il évoque aussi le propre de l’homme : le langage, « que la modernité réduit à la communication ». Et que le transhumanisme veut priver de ses fonctions émotive, poétique, métaphorique et lisser, pour l’amputer de sa richesse et de ses nuances, « pour le polluer avec (…) les mots de l’efficacité technocratique » Or, l’appauvrissement de la langue entraîne celui de la pensée et l’ébauche d’une « déhumanisation ».

 

Pour lire la suite de l’intervention de Jacques Testart :

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