« Aide à mourir » : les pharmaciens et les établissements exclus de la clause de conscience

29 Mar, 2024

Bien que le projet de loi relatif à l’« aide à mourir » prévoie une clause de conscience pour les « professionnels de santé » dans son article 9 [1], le texte en limite d’ores et déjà la portée, que ce soit pour certains professionnels ou les établissements de santé. En effet, le projet dispose que « le pharmacien ne peut bénéficier d’une telle clause ». Les pharmaciens hospitaliers seront sollicités pour fournir les produits létaux.

L’exposé des motifs du projet de loi ajoute qu’aucun établissement ne pourra « faire obstacle à l’accès d’une personne malade à l’aide à mourir ». En dépit du « projet éthique d’une institution [qui] peut entrer en conflit avec la loi ». Or cette pratique « affecterait aussi les aides-soignants et secrétaires médicales suivant le patient, les agents d’accueil recevant le professionnel venu appliquer la loi, le personnel de ménage nettoyant la pièce où la mort a été donnée… »

Un « vide juridique »

« Si la liberté du patient et celle du médecin sont bien définies par le droit, celle des institutions et de leurs collaborateurs se heurte à un vide juridique », souligne le journaliste Pierre Jova.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait voté une résolution sur le « recours non réglementé à l’objection de conscience » en 2010. La résolution affirme que « nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, d’accueillir ou d’assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s’y soumettre ». Mais elle n’a aucune valeur normative.

Les établissements soumis à une pression financière

Or, dans les pays qui ont autorisé l’euthanasie ou le suicide assisté, « cette liberté est devenue une obligation pour les établissements de santé ».

En Belgique, la loi a été modifiée en 2020 : « Aucune clause écrite ou non écrite ne peut empêcher un médecin de pratiquer une euthanasie dans les conditions légales ». Dès lors, « en cas d’absence de médecin acceptant de pratiquer l’euthanasie au sein de l’établissement, celui-ci doit en faire venir un de l’extérieur ». Pour le sénateur socialiste honoraire de Namur Philippe Mahoux, qui a œuvré à la loi sur l’euthanasie et est membre du comité d’honneur de l’ADMD, cette obligation est légitimée par les financements reçus par les structures de santé de l’Etat (cf. Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?).

Le Québec et la Suisse font également valoir cet argument. Le projet de loi n°11 voté par le Québec en 2023 dispose que les maisons de soins palliatifs « ne peuvent exclure l’aide médicale à mourir des soins qu’elles offrent », « au nom des fonds publics qu’ils reçoivent ». En Suisse, « la plupart des cantons francophones imposent la tenue des suicides assistés aux hôpitaux et établissements médico-sociaux (EMS, maisons de retraite) d’utilité publique ». Une mesure toutefois abrogée à Genève (cf. Genève : les établissements médicaux-sociaux peuvent refuser le suicide assisté).

L’« autodétermination » supérieure à la liberté de conscience ?

Ainsi, en 2016, l’EMS le Foyer géré par une communauté protestante qui refusait l’assistance au suicide a été débouté par le Tribunal fédéral. « La pesée des intérêts en présence fait primer la liberté de choisir le moment et la forme de la fin de sa vie des résidents et patients de l’EMS le Foyer sur la liberté de conscience et croyance », avait estimé la haute juridiction. « “L’autodétermination” serait-elle supérieure à la conscience ? », interroge Pierre Jova.

Un jugement similaire a été rendu au Québec en 2024. La Cour supérieure du Québec a en effet rejeté la demande d’exemption de la Maison Saint-Raphaël, un centre de soins palliatifs à Montréal, arguant que : « Le droit des Québécois de choisir leurs soins médicaux, y compris l’aide médicale à mourir, l’emporte sur toute atteinte à la liberté de religion » (cf. « Aide médicale à mourir » : aucune exemption pour une maison de soins palliatifs).

« En pratique, l’objection de conscience n’est pas tenable. Il est mal vu de ne pas pratiquer l’euthanasie, pour « soulager » ses collègues », se désole un médecin hospitalier en Belgique. « J’ai refusé de placer une perfusion préparatoire à une euthanasie. La médecin m’a dit : “Tu n’as plus ta place dans l’institution !” J’ai dû démissionner pour exercer ma liberté de conscience », confirme une infirmière wallone. Un autre médecin bruxellois en soins palliatifs qui affirme n’avoir « aucune gêne » à signifier son refus de l’euthanasie témoigne également : « On me met la pression jusqu’à ce que je change d’avis ! Et mes supérieurs à l’hôpital vérifient que les nouveaux médecins enrôlés sont bien prêts à le faire ».

 

[1] « Ils sont alors tenus, ainsi que cela est déjà prévu en matière d’interruption volontaire de grossesse, de communiquer à la personne le nom des professionnels de santé susceptibles de les remplacer »

Source : La Vie, Fin de vie : quelle liberté de conscience pour les établissements de santé ?, Pierre Jova (26/03/2024) – Photo : Remaztered Studio de Pixabay

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